En 2014, après avoir prédit “L’insurrection qui vient” en 2007, le collectif d’anonymes militants ou du moins engagés, “Comité invisible”, récidive avec “À nos amis”.

Articulé autour de 9 chapitres, chacun reprenant un slogan de tag populaire, et une thématique, plus ou moins précise, synthétisée, « À nos amis” prétend offrir non seulement des clefs de compréhension mais des clefs d’action.

Le constat est simple, la prophétie réalisée, les crises insurrectionnelles survenues.
Aussi l’objectif de ce manifeste du Comité Invisible, est, tout en dressant un panorama des diverses crises, de démontrer qu’il ne s’agit pas d’une série de révolte mais d’une vague, sans unité de temps ni d’espace.

Tous les régimes, prétendument stables et installés, de la Tunisie de Ben Ali, à la Syrie, en passant par l’Egypte n’ont pu y échapper. Même des pays occidentaux connurent de nombreux sièges de lieu du pouvoir officiel pris d’assaut, comme ce fut le cas en Grèce, en Islande ou même le Capitole américain.

Toutefois, force est de constater que ces révolutions stagnent au mieux au stade de l’émeute. Ces échecs ne font d’ailleurs que conforter la gestion de crise utilisée comme technique de gouvernement notamment car elle permet de brouiller toute opportunité de compréhension. Le meilleur moyen de ne pas subir une crise est de la créer, comme on déclenche une avalanche. “Le remède n’est plus là pour mettre fin à la crise, la crise est au contraire ouverte en vue d’introduire le remède”. Toute référence à l’actualité sanitaire serait purement fortuite.
Il faut comprendre que la crise n’est pas un fait économique mais bel et bien une technique politique, dès lors qu’elle présente les deux aspects suivants.

D’une part, il s’agit d’une crise permettant la création d’opportunités pour les plus méritants et les plus compétitifs. Les acteurs économiques en mesure de survivre et ou de s’adapter. On peut parler de « destruction créatrice”. D’autre part, la crise est également une méthode de gestion garantissant des restructurations perpétuelles permettant de maintenir un flou constant.
Face à cela, il convient de s’intéresser à la nature des soulèvements de ces dernières années. Ils étaient d’abord le fait d’anonymes, de déclassés, jusqu’à ce que des tissus humains se forment. Tout n’est que rencontre. A noter, l’insurrection ne dépend pas seulement du nombre, mais davantage de critères qualitatifs tels que le courage, l’énergie, la détermination… Le Comité Invisible met en garde contre un des risques qu’encourent tous ces mouvements. “Ils veulent nous forcer à gouverner”. Cette injonction au respect des principes démocratiques à force d’être apposée, associée, martelée à certains mouvements comme les Indignés finit par prendre le pas. Il faut donc impérativement s’extraire des formalismes et procédures démocratiques de manière à imposer ses usages. Transformer les assemblées de lieu de vote à lieu d’échange.

Ainsi, il devient plus que jamais obligatoire de s’organiser. S’organiser ne s’entendant comme s’affilier à une organisation mais davantage comme l’action selon une perception commune, une volonté commune.

De cette perception commune, il est nécessaire d’assimiler, que le pouvoir, l’ennemi commun s’il en est, demeure à identifier.

Le pouvoir n’est plus l’Etat, mais l’ensemble du système d’influence en perpétuel renouvellement. Il est actuellement principalement incarné par les infrastructures plus qu’un lieu physique précis. Ce fut vérifié lors des sièges et prises de certains lieux imaginés du pouvoir, comme Westminster en 2011 ou Madrid en 2012, une fois les manifestants arrivés dedans, face à un lieu vide, où rien ne change.

Le pouvoir n’est plus incarné par les institutions, il est désormais impersonnel. “Mais qui ?” diraient certains.

C’est ainsi que le Comité Invisible justifie d’ailleurs toute “casse” lors des manifestations dès lors qu’elles portent atteinte à ces infrastructures. “Une loi on la critique, un mur on le casse”.
De manière cynique, le collectif d’auteurs relève que la sophistication, modernisation de certaines infrastructures peut présenter un avantage. En évoquant le blocage comme arme, l’évolution (à distinguer de progrès) des usines en sites de production et des ouvriers en intérimaires, implique que n’importe qui désormais peut être à l’origine et à la manœuvre de blocage. Ce qui a d’autant plus d’importance et de conséquences sur un système organisé en flux et même en chaîne.
Le comité invisible n’exclut pas de son guide, une mise en garde contre l’ultra connectivité. Dans un chapitre sobrement intitulé “Google Fuck Off, il prévient sur une “réussite” dores et déjà acquise : parmi tous les équipements connectés, existe déjà le plus grand des capteurs, l’Homme. Celui-ci consent de lui-même à partager toutes ses informations de géolocalisation, humeur, avis, menu, amis, loisirs… et même santé…
Est d’ailleurs évoqué, pour toute personne refusant de disposer d’un smart-phone ou profil virtuel, la possibilité d’être mis à l’écart. Force est de constater que les événements récents autour du pass sanitaire et des fractures qui l’accompagnent, confirment à nouveau les craintes de cette hyperconnectivité et les risques de son refus.
Parmi les raisons mises en avant pour expliquer la victoire de la contre insurrection suite à la crise grecque de 2008, véritable fil rouge de l’ouvrage, l’existence de deux profils indissociables, les deux faces d’une même pièce.
D’une part le pacifisme, dès lors que par lâcheté ou bêtise il refuse l’altérité et se dédouane de désigner un ennemi. C’est par choix de la non violence que certains en viennent à livrer émeutiers ou résistants.

D’autre part le radical, qui lui se définit de manière intransigeante en totale opposition avec le premier profil, presque comme s’il ne vivait que pour lui. Certains tendent même à s’auto saborder dans une surenchère de la radicalité. Pour lui, la révolution est quantitative, comme une sorte d’accumulation d’actes de révolte en omettant qu’un “geste est révolutionnaire non par son contenu mais par l’enchaînement des effets qu’il engendre.”
De cette manière, il est donc non seulement impératif de quitter non seulement la ville organisée en zone répondant à des besoins précis, contraints par ces infrastructures et aménagements imposés, mais également de fuir la guerre symétrique tout autant imposée. Pour mener une guerre asymétrique, il faut devenir inidentifiable. “Nous ne nous cachons pas en embuscade dans la plèbe, car c’est en nous que se cache la plèbe.”
La marche à suivre pour éviter les risques précédemment présentés et même profiter de la bise au ban aussi expliquée plus haut, réside dans la conception de sécession.
C’est ainsi la meilleure manière d’assumer et de s’accaparer la ségrégation déjà mise en place. Il s’agit de rejoindre les périphéries et de s’organiser en communauté autonome, un territoire, un peuple.
Si le Comité Invisible conclut “devenir révolutionnaire c’est s’assigner un bonheur difficile mais immédiat”, il convient de compléter “Peu importe le bonheur, nous voulons un destin”.