Je vais vous conter aujourd’hui une histoire vraie qui a valeur de parabole. Mes parents, heureux retraités, ont une maison en province qui nécessite, comme de bien entendu, quelques travaux. En l’espèce, une cour à dépierrer et un peu de terrassement à faire. Honnêtes citoyens, mes parents font appel à des entreprises locales afin d’établir un devis. Le temps passe, les devis se font attendre. Trop de main d’œuvre, trop petit chantier, pas intéressé, pas de devis… Désemparés, mes parents se tournent vers les amis du coin. On leur propose un monsieur, charmant, efficace, discret, érythréen sans papier, mais bon chrétien… C’est l’homme à tout faire de la bonne société dans le pays, candidats Rassemblement National compris. En plus, il est de la même ethnie que le curé du village, dernier gage, s’il en fallait, pour juger de la bonne moralité de ce sympathique subsaharien. Voilà l’homme embauché, les parents satisfaits, la cour dépierrée.

Evidemment, la fable est belle, pourtant, elle me laisse comme une certaine amertume.

Je m’étonnais auprès de mes parents qu’il n’y ait pas un jeune paroissien désœuvré et serviable qui, moyennant quelques billets, acceptât ce petit travail. Ce à quoi ma mère me fit remarquer que, de jeunes paroissiens, il n’y en n’avait point. Je répondis que le cas échéant, ils eurent pu élargir les recherches aux garçons du pays. Il doit bien y avoir un quelconque Dylan ou Mickael désœuvré, tenant les murs faute d’emploi, soucieux d’arrondir ses fins de mois de misère. Las, il semble que malgré les vingt chômeurs du village, pas un ne soit intéressé, préférant tous vivre des subsides de l’Etat et de quelques trafics moins honnêtes et moins pénibles que la manutention de cailloux.

Le mal est généralisé. La dernière saison, la COVID ayant fermé les frontières, les fraises ont pourri sur pied, faute de travailleurs détachés, rapatriés du Maroc. La main d’œuvre locale ne manquait pas, mais, trop dur, trop mal payé…Ainsi en est-il de la banalité du mal, chacun, à son niveau y participe, ou par nécessité, ou même sans s’en rendre compte. Tout comme les animaux malades de la peste, ils n’en meurent pas tous, mais tous en sont frappés. Voici la morale de cette fable où tous sont coupables et innocents par devers eux.

Ainsi de mes parents contraints d’embaucher un clandestin, faute de personnes acceptant de leur faire les travaux nécessaires. Comment pouvaient-ils faire autrement ?Ainsi de ces entreprises, qui, pressurisées de taxes ne peuvent donner des salaires décents et se voient contraintes de trier leurs chantiers pour survivre. Peut-on le leur reprocher ?Ainsi de ce clandestin qui travaille, lui, et accepte même les tâches pénibles et qui envoie une partie de son argent au bled pour ceux qui y sont restés. Il aide les siens, peut-on le lui reprocher ?Ainsi de ces jeunes sans travail qui, satisfaits de l’aumône d’Etat et de divers trafics, ne voient pas l’intérêt de travailler honnêtement, quitte à transpirer un peu. Est-ce leur faute puisque cette culture de l’effort ne leur a pas été enseignée et que l’Etat permet qu’ils ne meurent pas de faim ?Ainsi de cette paroisse sans jeunes et sans renouvellement, puisqu’entre exode rurale et disparition d’un clergé local, l’Eglise n’est plus qu’une grande maison qui se vide au gré des enterrements. A qui la faute ?Ainsi de ce curé érythréen appelé ici pour tenir les murs d’une paroisse qui sans lui serait complètement morte et qui, dans un esprit de communauté, fait venir et entretient l’un de ses frères de race. Peut-on le lui reprocher ?Voici le portrait de la banalité du mal, développé par Hannah Arendt, pour expliquer comment un pays développé comme l’Allemagne des années 30 avait pu sombrer dans la barbarie et le totalitarisme. Chaque rouage de la société, à son niveau, se voit contraint de faire « un peu » quelque chose de mal. Toujours de manière légère, banale, sans prendre conscience, ni de l’importance, ni de l’intégralité de l’œuvre. Ce genre de petites contradictions, où l’on se dit qu’après tout « ce n’est pas si grave », et qui finalement mènent aux pires catastrophes : aux églises vides et aux cargos de migrants s’échouant sur nos plages, aux jeunes générations abruties et feignantes et aux anciens lâchant la rampe de leurs convictions.

En prendre conscience est un premier pas pour se combattre soi-même et ne jamais -et cette fois-ci pour de vrai- « jamais rien lâcher ».

Chronique lue dans le libre journal de la jeunesse sur Radio Courtoisie

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