Du grec « kubernetes » qui désigne l’action du pilote qui corrige la course du navire, la cybernétique désigne l’étude des processus de commande et de communication, des systèmes et de leur fonctionnement. Il s’agit d’une approche interdisciplinaire qui s’applique à de nombreux champs d’activité : anthropologie, mathématiques, psychologie, etc…
La cybernétique au sens de Norbert Weiner considère que le monde est constitué de systèmes imbriqués les uns dans les autres par des échanges et des interactions. L’informatique constitue en cela l’une des applications de la cybernétique. Elle fournit également des méthodes de contrôle des deux systèmes structurants que sont l’économie et la société. La compréhension et la maîtrise de ces systèmes complexes constituent aujourd’hui un enjeu majeur. Robotique, flux financiers internationaux, systèmes d’informations et de communication, méthodes de management des organisations, etc… tout cela en découle. La cybernétique est alors une science du contrôle et de l’information visant le pilotage des systèmes. Elle a pour ambition de rendre le monde plus rationnel. Tout est envisagé sous le prisme de la machine, de la mécanique, d’actions induisant des réactions, de causes produisant des effets. Ce concept permet de comprendre la nouvelle conception de l’être humain et de la société à l’ère de la modernité.
Le monde est déterminé par la technique comme composante du système global de la réalité et Robert Spaemann intègre l’être humain dans la cybernétique en tant qu’il agit dans un système général. La cybernétique donne des préceptes pour réguler l’action humaine afin que le système puisse fonctionner correctement et de manière optimale. Le critère qui permet de fonder la moralité humaine est alors celui du fonctionnement du système. Or, ce fonctionnement ne peut en aucun cas devenir le critère du bien car un système social, politique, économique peut fonctionner tout en étant dénué de morale. Dans certains systèmes économiques, l’immoralité peut être souhaitable voire nécessaire afin de maximiser son profit. La satisfaction des désirs dans la société de consommation en est l’illustration.
C’est ce que décrit Mandeville dans la Fable des abeilles : il faut confier le pouvoir aux hommes les plus capables, au sens de l’homo œconomicus. L’unique but est de se rapprocher de cet individu rationnel qui maximise ses profits et minimise ses charges : ceux qui veulent toujours plus, quels que soient les moyens à employer. Pour ce faire, Mandeville a élaboré un art de gouverner : flatter les uns, stigmatiser les autres. Dans le prolongement de Machiavel, l’art de gouverner de Mandeville est fondé sur l’instauration d’un nouveau régime : la libération des pulsions. La morale est instrumentalisée dans le seul but de maintenir la stabilité et la pérennité du système car celui-ci a besoin de moyens de régulations. La cybernétique devient alors outil du régime.
En effet, la morale sociale chez Durkheim est imprégnée de la notion de cybernétique : l’ensemble des conduites exigées par la société permet l’intégration en se conformant aux mœurs, valeurs, habitus, etc… La société détermine ainsi les comportements individuels et les contraint à s’y soumettre par la peur d’être rejeté, le souci d’appartenance à la communauté motive l’adoption de la conduite morale. Ce constat ignore toute forme de transcendance.
La cybernétique aboutit alors à la négation de la personne humaine et à sa réduction à la notion d’individu. La société, vue comme un agglomérat d’individus, organise les interactions réciproques. La réduction de la morale à une cybernétique conduit à considérer la morale comme un moyen et un outil du fonctionnement optimisé du système.
Un État qui use des principes de la cybernétique en politique tente de réguler les flux et de rétablir l’équilibre, notamment grâce aux mécanismes fiscaux qui favorisent la transmission de l’information.
L’État-Plateforme et le phénomène de la « plateformisation du gouvernement » peut être compris comme un tissu complexe d’alliances et de mises en compétition où les États et les plateformes modèlent l’espace et agissent comme des réseaux de dispositifs entremêlés et dont la cybernétique est le nouveau mode de gouvernement. Suite au démantèlement des institutions et à leur remplacement par un réseau de dispositifs, nous pouvons considérer les appareils d’États et les plateformes comme des ensembles de dispositifs coexistant, participant à un âge particulier du régime cybernétique du pouvoir, celui de la gouvernance algorithmique.
En témoigne l’accumulation de la puissance d’État par l’accaparement des productions individuelles, ainsi que la mutation de la gouvernance et de la souveraineté inclus dans un système global, international dont les États deviennent des périphéries.
Cette hypothèse cybernétique peut être illustrée par la société de surveillance et la gouvernance algorithmique, caractérisée par une digitalisation de la vie avec par exemple l’avènement des « smart cities », les villes intelligentes et connectées.
Les plateformes, grâce au traitement des flux d’informations et des données, participent à la gouvernance algorithmique détenue par les GAFAM. La gouvernance est externalisée et confiée à des organismes privés par l’utilisation et la détention des données. Ces systèmes ne sont pas neutres : tout algorithme est le produit d’une construction humaine mue par une intention.
Ces réflexions soulignent l’urgence de la transparence des mécanismes de pouvoir et la nécessité d’un contrôle.
Face au devenir totalitaire de la cybernétique, qui remplace le politique par la gestion, une réflexion sur la technique, son utilisation et les principes moraux qui en découlent est primordiale afin de recentrer la réflexion politique sur l’Homme et sur le bien commun.
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