C’est l’histoire de Michaël, petit blanc d’Ile de France qui a une vie de merde : père décédé, fils unique d’une mère dépassée, un cdd précaire dans un entrepôt qui stocke des produits de vente en ligne, … le tout dans un décor périurbain qui s’africanise à vue d’œil.

Pour échapper à cet enfer, Michaël prend le RER pour rejoindre la capitale. Là-bas il fréquente un groupuscule nationaliste-révolutionnaire composé d’une poignée de militants qui semblent si différents et meilleurs que lui : ils parlent bien, ne craignent pas les racailles, cultivent la belle gueule, …

Après Poids Lourd, sorti en 2015, Paul Fortune réitère sa description de la société actuelle avec Dérive, sorti en 2021. Dans ce nouveau livre l’auteur nous fait jongler entre la France périphérique (tenaillée entre la misère sociale et le grand remplacement) et la France des métropoles, en l’occurrence Paris, où le décor du monde d’avant semble encore tenir dans le milieu militant.

Car il ne s’agit que d’un décor vacillant comme l’apprendra notre héros à ses dépends. Ceux qui parlent bien ne font que parler, ceux qui tapent dur savent les limites à ne pas franchir et les bourgeois (et surtout les bourgeoises) qui semblent vous porter de l’intérêt savent aussi se rappeler à temps leurs intérêts de classe.

Au lieu de se regarder comme ce qu’ils sont, des atomes tordus du monde moderne, et d’essayer d’agir à partir de leurs réalités propres, les militants adoptent les codes et postures de leur milieu respectif et se coupent de leurs proches en endossant une identité qui n’est pas la leur et qui n’a d’autre raison d’être que sa propre répétition caricaturale. L’illustration parfaite de ce phénomène apparait notamment dans les passages où les « anciens » viennent témoigner auprès des jeunes. Comme le disait le Comité Invisible dans L’insurrection qui vient : « Tous les milieux sont contre-révolutionnaires, parce que leur unique affaire est de préserver leur mauvais confort ».

Mais la vacuité de ce milieu n’est pas un fait isolé. Les pérégrinations hasardeuses des protagonistes les font également errer dans les soirées bourgeoises du XVIème arrondissement, les salles de boxes en voie de salafisation, les bars antifascistes… Partout semble régner la même décrépitude, la même obstination de croire qu’on est différent et que l’on vaut mieux que ce monde éparpillé et sans but.

Au final, seule une certaine camaraderie de l’instant et une découverte de l’adversité physique viennent apporter quelque chose aux individus qui composent cette mouvance : « la violence est la seule réalité », comme le comprendra Michaël.

D’une écriture tranchante, Dérive est une mise en garde réaliste et sage sur l’impasse que peut constituer le milieu militant lorsqu’il tourne au folklore stérile.