Il est des proximités de calendriers parfois malheureuses qui tournent au sinistre. 2 jours après le funeste 14 octobre où la France découvrait le visage angélique de la petite Lola, affreusement violée et suppliciée par une ressortissante algérienne à qui il avait été fait injonction de quitter le territoire, nous commémorions la découverte du petit Grégory, survenu le 16 octobre 1984.Grégory, Lola, 2 visages d’enfants réunis tragiquement à travers l’espace et le temps. Icônes malgré eux de deux époques. Bien sûr, il ne faut pas chercher à tout prix des symboles là où ils ne sont pas et chaque histoire est unique, chaque bourreau ayant ses moteurs propres. Cependant je ne peux m’empêcher de voir dans ces deux faits divers qui ont saisi chacun à leur époque la population française des photographies mortuaires de leurs temps.

1984, la France aux mains des socialistes entre paradoxalement dans le capitalisme débridé. La prospérité issue des années 60, se transforme encore pour quelque temps, et malgré l’augmentation du chômage, en luxe tapageur pour ceux qui réussissent. On commence à importer et les maisons françaises se parent de nouveaux objets, télévisions, magnétoscopes, canapés en cuirs. C’est le cas du couple Villemin, ils font des jaloux, ce vice vieux comme le monde prend ici une tournure tragique. Symboles d’une nouvelle classe moyenne qui émerge, propriétaires de leur maison, de leur voiture, possédant même un « canapé en cuir » selon les dires de la famille jalouse, le petit Grégory se retrouve victime de l’envie, vieux moteur du monde, et de sa nouvelle expression consumériste qui lui sera fatale.

2022, la France aux mains des idéologues capitalistes, ayant abandonné toute forme d’action politique depuis des années, démissionnaires sur tous les sujets, transforment la France en terrain vague et en coupe-gorge. Les yeux grands fermés, ils se gaussent de mots et interdisent la parole et la pensée à toute personne émettant un doute sur le monde pacifié décrit à longueur de média. La petite Lola, par son martyre expiatoire, brisera pour un temps ou pour longtemps les mensonges, les lâchetés et les trahisons d’une clique de politiciens et d’une société lâche et aveugle.

Le profil de son agresseur glace d’effroi autant qu’il interroge. S’il y a 38ans, on se demandait encore comment Dieu pouvait permettre la mort du petit Grégory, ici, point n’est besoin de questionner si haut. Si la loi avait été respectée, les ordres exécutés, le bourreau ne serait plus sur le sol français, et Lola continuerait d’aller au collège et de faire la fierté de ses parents. Ici, il suffit d’interroger les politiques qui ont l’outrecuidance de nous dénier même ce droit de leur poser la question : Pourquoi ?

Pourquoi en 40 ans notre pays a-t-il tant changé ? Comment en 40 ans un crime sordide qui était à l’époque suffisamment rare pour autant marquer les esprits est devenu tellement banal qu’il faut la mort d’une enfant de 12 ans pour que le pays sorte enfin, et de manière toute relative –un peu- de sa torpeur. Lola devient soudain le visage de tous ces noms et de tous ces visages égrenés jour après jour au fil des faits divers bien vite chassés et remplacés par de nouveaux visages, de nouveaux noms, de nouvelles victimes. Qui se souvient de Romain tué pour une cigarette à Avignon il y a 20 ans, qui se souvient de Marin, handicapé à vie pour avoir défendu un couple agressé il y a 7 ans ? D’Axelle, trainée par une voiture sur 800 m à Lyon en 2020. Qui se souvient comme le liste la couverture de Valeurs Actuelles de cette semaine, d’Adam, de Béatrice, de Rudy, de Gérard, d’Angèle et de tous les autres, de ceux qui n’ont même pas leur quart d’heure warholien posthume dans la presse, de tous ces prénoms et de ses visages dont-on se dit qu’ils nous disent vaguement quelque chose sans arriver à se souvenir de quel crime sordide ils ont été victimes.

Triste photographie des temps, la petite Lola ne changera probablement pas le cours de l’histoire. Elle restera cependant comme un clou de honte dans nos corps d’où suppurera encore pour longtemps notre lâcheté.

Pardon petite Lola, je ne voulais pas parler de toi aujourd’hui, mais le cœur est trop lourd et le gâchis trop grand pour que le cri qui me monte du fond des tripes ne sorte pas un peu, même s’il se transforme en une morne supplique de Cassandre. Il y aura encore des Lola, et nous pleurerons encore sur le corps de nos enfants et sous le porche de nos maisons en ruines. Nous foulerons encore le sol de braise de notre pays en feu et nous boirons encore dans le lit de nos rivières ensanglantées. Mais nous vivrons et nous nous battrons jusqu’à notre dernier souffle parce que nous n’aurons plus que ça. Nous referons des enfants et rebâtirons nos foyers, parce que la vie est malgré tout toujours plus forte que la mort… et que le Christ nous a montré le chemin de la Résurrection.