Il est des temps qui ne produisent que la médiocrité humaine en masse. Notre malheur étant que notre époque elle-même est de ceux-là. Ainsi la misérabilité intellectuelle contemporaine a engendré Jean-Michel Aphatie, journaliste et chroniqueur dont l’accent chantant pourrait le rendre sympathique s’il arrivait à exprimer autre chose que l’arrogance et la bêtise du monde moderne et du “camp du bien”.

Il eut pourtant en 2016, lors d’un entretien sur la chaîne Public Sénat, une suggestion plus intelligente et profonde qu’il ne l’aurait lui-même pensé : « Moi, si un jour, je suis élu Président de la République […] Je raserai le château de Versailles. […] pour que n’allions pas là-bas en pèlerinage cultiver la grandeur de la France ».

Car oui, si le propos est radical et choquant à dessein, il exprime néanmoins une navrante vérité, celle de l’obsession passéiste des conservateurs pour les “vieilles pierres”, ces dernières leur servant de “safe-space” où entretenir le mythe d’une France vivante et maîtresse de son destin, s’inscrivant dans le concours des Nations.

Versailles : un château et une ville. Un demi-siècle de chantier auront permis au génie français de faire sortir de terre la nouvelle capitale de l’Europe du 17ème et 18ème siècle. 200 ans de dégénérescence l’ont transformé en symbole du déclin et de la mort de la France.

Mais voilà, à Versailles le château tient debout. Ça rassure le voisinage, premier concerné par le refrain “J’aime mon pays comment peux-tu en douter ? J’aime aussi le seigneur car il pardonnera mes péchés”. “Faites ce que je dis, pas ce que je fais” devrait être la devise des habitants qui démontrent à chaque élection leur degré de pourriture morale.

Avec eux, c’est tous les droitards simplets et/ou libéraux qui s’alignent pour vénérer cette “preuve” en dure que la “France n’est pas morte”. Après tout, si on y reçoit les chefs des gouvernements étrangers pour négocier les intérêts du CAC40, c’est bien une preuve de vie ? Et tant pis si factuellement il ne s’agit que d’un musée conservant des traces de ce que fut la France. Et tant pis si la conservation appartient au champ lexical de la mort (à bon entendeur). Et tant pis aussi si dans le même département Trappes démontre une réalité bien différente. Versailles est debout, le réel n’a qu’à bien se tenir.

Si Versailles fait cas d’école, le reste du patrimoine ne fait pas exception. Le rachat de nos monuments si bien conservés par leurs nouveaux occupants qataris et chinois devrait déjà mettre la puce à l’oreille sur la réalité de ces décors pour badeaux. Ce à quoi l’on peut ajouter l’usage fait des bâtiments restant dans le domaine public où même les Invalides, constituant le panthéon de la droite libérale-conservatrice (qui y vénère son césar progressiste raté et son état-major ainsi que les généraux bouchers de la 1ère guerre mondiale), sert de place d’exposition aux arts les plus dégénérés, choquant par là la dite droite dans l’un de ses propres temples.

La corruption par les “vieilles pierres” se fait d’autant plus sentir dans les biens privés, tant l’on voit de ce qui fut le meilleur sang de France vendre son âme au nom d’un « devoir de préservation » des domaines familiaux. Georges Kuzmanovic relatait dans un numéro de Front Populaire l’histoire de la famille d’Uzès. Cette dernière, dont la devise est « Ferro non auro » : Par le fer, non par l’or, n’a autrefois vécu que par l’épée, si bien qu’à Louis XVIII qui s’étonnait qu’aucun duc d’Uzès n’eût été maréchal de France, le duc de l’époque aurait répliqué : “Sire, nous nous faisons tuer avant”. Alors oui, la famille d’Uzès a su préserver sa maison de famille. En revanche le porteur actuel du titre, diplômé d’un MBA d’une université américaine, travaille dans l’immobilier. Triste fin d’un grand nom, mais dans un bel intérieur…

Au final tous ces lieux semblent n’avoir été maintenus que pour servir d’habitats à des êtres qu’un charpentier nazaréen aurait probablement taxé de “sépulcres blanchis”. Bien beaux, bien présentables et propres sur eux, mais n’exhalant plus rien d’autre que leur mort intérieure.

A quoi peuvent bien servir ces places à la civilisation si les créatures qu’elles engendrent ne peuvent répondre au titre d’Homme ?

Souvenons-nous que lorsqu’un mythe cesse d’opérer, il devient dès lors contre-productif. Si ce mythe s’incarne dans un bâtiment, ne vaut-il pas mieux le voir détruit plutôt que d’être la source d’une tromperie aux conséquences néfastes ?

Autant ne plus se faire d’illusion. Le but de l’architecture en termes civilisationnels n’est pas tant de préserver l’œuvre des anciens que de la prolonger dans l’érection d’ouvrages dans un style ayant certes évolué mais gardant néanmoins la frappe d’un même génie. Force est d’admettre que n’en étant plus capables, la destruction plutôt que l’illusion trompeuse de la muséification est peut-être préférable. A quoi bon rebâtir Notre-Dame si on la détache de son rôle fondamental pour la réduire à un but touristique consumériste ? Autant finir le travail du feu, mettre fin au mensonge du “rien n’a changé” et bâtir selon nos propres termes, en commençant par notre sécession d’avec le monde des bourgeois libéraux. Pour reprendre les mots du camarade Buenaventura Durruti : « C’est nous qui avons bâti tous ces palais, ces villes, en Espagne, en Amérique, partout dans le monde. Nous, les travailleurs, pouvons les remplacer par de nouveau et de plus beaux. Nous n’avons pas peur des ruines. La terre sera notre héritage, sans doute. Que la bourgeoisie fasse sauter son univers avant de quitter la scène de l’Histoire. Nous portons en nous un univers neuf et cet univers ne cesse de croître. Il croît pendant que je vous parle… »

Alors pour reprendre la logique de Bernard Lugan remerciant les Indigénistes d’avoir été plus efficaces à rétablir les idées identitaires que les mouvements de droite, soyons reconnaissant aux idiots utiles comme Aphatie. En rasant les derniers vestiges de la « France puissance », ils détruiront définitivement les chimères de ceux qui pensent que la France existerait encore dans sa matérialité.

Athènes, Rome et la France vivent éternellement oui ! Non dans la pierre mais dans les cœurs et les âmes de leurs héritiers qui fondent leurs foyers dans les principes dont ils ont hérité, afin de poser les murs de leurs communautés.