Il faudrait être aveugle pour ne pas voir la flopée de livres de développement personnel en tête des ventes et des gondoles dans nos librairies. Loin d’être un phénomène anecdotique, ils sont en réalité révélateurs d’un nouveau tournant capitaliste.

Tout commence avec le développement du marketing, qui lie intimement le travailleur à la sphère économique. Parce qu’il n’est plus possible dans nos sociétés de contrôler les travailleurs par la violence ou par la force, le marketing permet un contrôle en douceur. L’objectif est de faire en sorte que le mécontentement ne s’exprime pas et que le travailleur donne le meilleur de lui-même pour l’entreprise. Le travailleur va donc s’investir personnellement dans son travail, qui deviendra un lieu privilégié pour réaliser son moi-profond, son moi-intime. C’est donc l’individu, personnellement et même intimement, qui est en charge de résoudre les problèmes de l’entreprise finalement.

Cette logique se retrouve dans l’idéologie du développement personnel. Elle pousse tout un chacun à croire que c’est par un seul travail sur soi que l’on peut résoudre tous ses problèmes, peu importe les implications ou les causes collectives et sociales des difficultés rencontrées (individualisme, replis sur soi, société de consommation, suppression des repères collectifs etc). Cette idéologie s’inscrit donc vraiment dans une logique néolibérale, où c’est d’abord à l’individu de travailler et de faire. Chacun doit être le manager de son bonheur, et s’il échoue, ce ne peut-être que de son propre fait. Le « moi » est ainsi érigé en but ultime, conséquence à la fois du triomphe de l’individualisme et de la disparition continuelle des structures traditionnelles qui permettaient aux personnes de s’inscrire dans une communauté, dans des liens et des structures à même de les soutenir.

La disparition des anciennes structures traditionnelles est vraiment du pain béni pour le capitalisme et la marchandisation grandissante de toutes les sphères de la vie. Ainsi, le management et le coaching en entreprise, mais aussi le coaching personnel et l’ensemble des métiers gravitant autour du développement personnel, participent à la pénétration des valeurs marchandes et lucratives dans l’ensemble de la vie. On trouve alors toutes sortes de coachs qui fleurissent notamment sur les réseaux sociaux. Ils sont prêts à nous aider à trouver ou retrouver le chemin du bonheur, que ce soit dans le sport, l’alimentation, mais aussi dans des sphères liées aux enfants avec l’éducation avec des coachs en parentalité qui vont vous apprendre à endormir votre enfant, mais aussi à une femme comment mener sa grossesse par exemple etc. En plaçant l’humain au centre de leurs pratiques, ils contribuent à la marchandisation de l’intime, car l’individu sans repères a besoin de ces nouveaux guides.

Et comme l’intime et les besoins émotionnels, affectifs semblent être sans limites, c’est un nouvel espace parfait pour le capitalisme qui cherche toujours de nouveaux terrains à conquérir. Ainsi chacun peut se voir guider sur son chemin de la performance individuelle pour se réaliser dans toutes les dimensions de sa vie, même parentale, moyennant un bel abonnement mensuel. Et grâce à cet ensemble de services payés, chaque individu aura fait le plein de beaux discours et de conseils : « voyez les choses positivement », « faîtes-vous confiance », « travaillez sur vous-même ». Oubliant finalement tous les enjeux collectifs, il se replie sur sa propre sphère et sur son projet personnel. Qu’il se définisse comme sportif, végan, parent bienveillant, l’important est qu’il se réalise dans son intimité.

Mais les implications de ce tournant capitaliste et de cette marchandisation de s’arrêtent pas là. Puisqu’il suffit de « voir les choses positivement », pourquoi se battre et lutter pour de meilleures conditions de vie, de travail, de meilleures écoles et pour une justice sociale ? Finalement, en poussant les personnes à se centrer sur eux-mêmes et en leur offrant de nouveaux services payants qui seraient à même de répondre à leurs questions existentielles, le capitalisme réussit avec brio à écarter toujours davantage l’engagement et la prise en compte des questions collectives en cloisonnant et en refermant les individus sur eux-mêmes. L’intérêt individuel prime toujours davantage sur le bien commun et l’intérêt collectif, le moi triomphe, laissant les problèmes sociaux s’enliser et renforçant la disparition du collectif et des liens communautaires. Ce constat ne peut être qu’un nouvel appel à la reconstruction de nos communautés, en s’appuyant sur les repères et les structures sociales traditionnelles, qui sont de plus en plus un moyen de lutte contre la marchandisation grandissante de nos vies.

Pour aller plus loin :

Scarlett Salman, sur le coaching ou le tournant personnel du capitalisme.