La campagne, tu l’aimes (telle qu’elle est) ou tu la quittes !
Les récents épisodes de confinement ont été l’occasion pour certains d’un « exode » citadin. Vous me voyez venir, je veux bien sûr parler de ces citadins, franciliens en particulier, qui ont décidé d’aller se confiner dans leurs résidences secondaires en zone rurale ou sur les littoraux.
S’il est intéressant de constater que nos campagnes présentent encore un certain attrait chez les citadins aspirant à changer de cadre de vie, malgré le manque d’investissement public dont elles font l’objet depuis des décennies (au profit des banlieues, certainement plus rentables électoralement), malgré la précarité et le chômage qui touchent de nombreux territoires ruraux, malgré la désertification des campagnes et la disparition du service public (fermetures d’écoles, de classes, de bureaux de poste, etc…), celui-ci n’est pas sans interroger les relations entre citadins et ruraux.
Nous vivons une époque où les gens s’agglutinent dans des agglomérations toujours plus grandes, où la bétonisation bat son plein, malgré les vaines promesses électorales de remettre de la verdure dans ces jungles de ciment. Des générations entières ont donc vécu toute leur vie en ville sans jamais avoir eu accès de près ou de loin à la nature, en dehors des jardins publics.
Le confinement a permis à l’Homme moderne de réaliser à quel point son milieu de vie quotidien, la grande ville donc, avec sa vie grouillante, ses mauvaises odeurs, ses rues sales, milieu de vie assez médiocre au demeurant, mais dans lequel il se complaît pourtant à vivre tant qu’on lui fournit un salaire suffisamment élevé et qu’il a tout ce qu’il veut à proximité, pouvait devenir un enfer dès lors qu’on le priverait de sa liberté d’aller et venir. Fini le métro-boulot-dodo, il allait maintenant être enfermé dans son domicile exigu, toute la journée derrière son écran. Finis les restos, les sorties au ciné, les soirées au bar.
Ainsi donc, nos belles campagnes voient débarquer chaque année des hordes de citadins pleins de stéréotypes, qui s’imaginent que l’on y vit d’amour et d’eau fraîche, et qui sont surtout motivés par la recherche d’une qualité de vie qu’ils ne trouvent plus dans ces villes démesurées. Ils voudraient en somme, pour reprendre le mot d’Alphonse Allais, avoir « la ville à la campagne ». Le développement du télétravail consécutif à la crise sanitaire risque d’aggraver ce phénomène.
Leur intégration est souvent difficile, entre d’un côté ceux qui ne pensent qu’à leur confort, et qui ne veulent surtout pas se mêler à la plèbe locale, vivant reclus dans leur propriété à l’abri des regards, parfaitement indifférents à leur environnement immédiat, et de l’autre les bobos en manque de nature qui en font des tonnes pour faire genre qu’ils sont de la campagne. On observe d’ailleurs un effet de regroupement : la présence massive de citadins dans un coin en attire d’autres, ils ne se fréquentent qu’entre gens de la ville. Leur mode de vie, souvent ostentatoire, les fait remarquer à mille lieues à la ronde. Les nouveaux voisins venus de la ville ? On ne les connaît pas, à peine nous disent-ils bonjour. Ils considèrent bien souvent les gens du cru avec un mépris plus ou moins bien dissimulé. Les présentes observations peuvent paraître caricaturales, elles relèvent pourtant de tendances fortes que j’ai pu observer, ayant moi-même vécu plus de vingt ans en zone rurale.
Pas le même mode de vie, pas le même niveau d’études, pas les mêmes revenus, pas les mêmes centres d’intérêt : le fossé se creuse entre les ruraux et les citadins. Ayant tout sacrifié sur l’autel d’une quiétude parfois fantasmée, les citadins ne supportent plus aucune contrainte à la campagne. Ils ne pensent plus qu’à eux-mêmes. La moindre petite chose qui viendrait troubler leur tranquillité et bouleverser leurs habitudes, voilà qui sert désormais de prétexte à intenter un procès. À côté de cela, la spéculation sur les terrains, la non-exploitation de parcelles achetées au rabais à des agriculteurs criblés de dettes, contribuant au recul de la superficie des terres agricoles, le non-respect des normes architecturales donnant lieu à des constructions parfois franchement moches, sont autant de pratiques dont ils sont assez coutumiers. Ils possèdent même parfois des dizaines d’hectares de terres sur lesquelles ne poussent plus un seul fruit ou légume, où plus aucun animal ne paît, où ils ne chassent même plus. Ils voudraient passer nos campagnes sous le rouleau compresseur de l’uniformisation.
De ce qui pouvait jadis passer pour de simples problèmes de voisinage pouvant être réglés à l’amiable, on est aujourd’hui passé à des procès quasi-absurdes. L’odeur du fumier, le chant matinal du coq, le cri des cigales, les cloches des églises, voilà quelques-uns des griefs adressés à la campagne par les citadins qui s’y installent. Les élus des territoires ruraux constatent une explosion des sollicitations pour des broutilles de cet ordre depuis quelques années. S’il s’agit là de cas précis, ils ne sont pas si isolés que l’on pourrait le croire. On compte déjà 18 000 procès de ce type en France, et la tendance s’est encore accélérée.
Un projet de loi vient récemment d’être adopté à l’unanimité au parlement pour consacrer le patrimoine sensoriel des campagnes, permettant ainsi de décharger les élus locaux de ces problématiques et désengorger un tant soit peu les tribunaux.
Il en va ainsi de notre société atomisée, où l’Homme moderne ne pense plus qu’à son petit confort personnel, où les communautés organiques, y compris dans les villages, hélas, disparaissent, où presque plus rien ne relie les individus les uns aux autres, ces individus déracinés, n’ayant plus d’attaches nulle part, qui s’enferment dans leurs grandes maisons de campagne, reliés au monde extérieur par leur ordinateur et leur voiture. Où le pognon et les desiderata de certains ont supplanté presque tout pouvoir local.
Il y a encore quelques décennies, ce projet de loi aurait paru délirant. Aujourd’hui, c’est la triste réalité de nos campagnes. Ces procès sont révélateurs du déracinement d’une part croissante de notre société. Si on les écoutait, on interdirait l’agriculture, au prétexte que ça pollue (leurs grosses cylindrées et leurs SUV ne polluent pas par contre !), que ça génère de mauvaises odeurs, que la présence de tracteurs sur les routes allonge les temps de trajet, entre autres prétextes farfelus. C’est la vie rurale qu’ils veulent tout simplement tuer, plantant la fatale banderille, alors que le monde rural est déjà en crise profonde depuis des décennies.
Pour que le législateur en soit arrivé à légiférer sur le patrimoine sensoriel des campagnes, c’est peut-être qu’au fond, la présence massive de citadins constitue une « nuisance » à la campagne ?
Pour le patrimoine sensoriel de nos campagnes, contre les nuisances citadines en zone rurale !
Pour aller plus loin :
Emission « Les Enjeux de la ruralité » sur Fréquence Soleil Vert : https://youtu.be/8IjFwIWCZFs
Notre bibliographie et sa rubrique « écologie radicale » : https://dextra.fr/bibliographie/
Commentaires récents