On a beaucoup parlé du phénomène de double pensée Chez Orwell : l’idée que deux pensées contradictoires puissent cohabiter ensembles sans opposition. Cependant, Orwell n’avait pas anticipé le phénomène d’abondance de « l’information » que nous subissons aujourd’hui avec Internet. Depuis les années 2000, nous assistons à une inflation de l’information de manière exponentielle. Là où l’information était auparavant rare et clairement définit (selon la source ou l’organe de presse consulté), nous voilà aujourd’hui agressés en permanence, à temps et à contre temps par des flux d’informations sans hiérarchie, sans qualification. On assiste à un aplatissement de l’information, atomisant toute perspective, et créant un présent permanent dont on a bien du mal à s’extirper pour arriver à tirer quelque raisonnement construit et complexe.
Chaque information prend pour un laps de temps plus ou moins long toute la place. Le Covid, Zemmour, le dernier lifting vaginale d’une bimbo décérébrée, toutes les unes parlent en même temps de la même information, bien souvent avec le même axe de réflexion, avec que cette information capitale de l’instant ne disparaissent dans les limbes d’internet. Évidemment, par le passé, les journaux pouvaient partager la même une, mais elle la développait avec un regard différent, d’autant que les pages intérieures laissaient la place à d’autres sujets plus spécifiques au journal en fonction de sa tonalité politique et à la qualité des journalistes. Aujourd’hui même si cette variété semble exister, la disparition du métier de journaliste entraine une redondance dans l’information, bien souvent à cause de la même dépêche AFP recopiée par un pisse copie sans talent, quand ce n’est pas directement par un logiciel robot qui écrit l’article.
Car, voilà le drame du temps, cette baisse de qualité informationnelle, ce lissage de l’information façon 20 Minutes et Métro, couplé à l’évolution de la technique, permet aujourd’hui à la machine de prendre une place de plus en plus importante dans la diffusion de l’information. Pire, là où il fallait par le passé les talents d’un bon photographe et d’un talentueux manieur de ciseaux, les logiciels et algorithmes permettent aujourd’hui et avec de plus en plus de « talent », la création pur et simple d’une image, d’un son ou d’une vidéo. La falsification commence à prendre des proportions industrielles, si bien que bientôt, comme plus rien ne pourra être prouvé -l’objet étant devenu par nature sujet à caution-, l’idée même de Vérité disparaitra. Lorsque par la facilité d’un logiciel, ça ne sera plus une mais un millions de vidéos bidons qui circuleront en permanence et sur tous les sujets, de la dernière allocution présidentielle à Jésus dansant un twerk avec Mahomet et Gandhi, le vrai ne sera plus qu’un moment du faux comme le prédisait Anna Arendt. Alors, notre monde d’aujourd’hui qui nous paraît déjà si compliqué, paraitra à nos suiveurs un havre de paix pour la pensée : époque bénie où il restait encore quelques rochers auquel agripper sa pensée. Demain, il est probable que plus aucun support ne sera suffisamment fiable pour que l’on puisse construire et appuyer sa pensée sur le temps et l’histoire. Le monde ne sera plus emplis que de faux et de faussaires, de robots copiant ou modifiant avec une précision chirurgicale telle événement, tel discours, tel ouvrage quand ils ne seront pas purement et simplement détruits au nom de la nouvelle doxa du moment. Ceci étant entendu par tous, plus personne ne cherchera à comprendre le passé… et donc à avoir une prise sur l’avenir. Ne restera plus que le présent permanent d’esclaves ravalés au rang d’animaux consommateurs, tout ne sera plus qu’illusion et faux semblant. Si nous n’y prenons garde, notre génération sera probablement la dernière pour qui la notion de Vérité pourra encore avoir un sens.
Ensuite, le salut ne pourra venir que de petites communautés sûres qui comme aux premiers temps de l’histoire se transmettront les récits du passé à la veillée, répétant généalogies et combats homériques, ou conservant précieusement des « livres artefacts »des temps anciens, dont seule la protection permanente par le clan certifiera que cet objet n’a pas été piraté et falsifié par les machines.
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