Dans son œuvre « La notion de politique » (1932), Carl Schmitt (1888-1985) propose une distinction que les habitués de cercles politiques connaissent bien : la distinction entre ami et ennemi. Derrière cette distinction se cache la presque obsession, pour notre auteur, de définir l’essence de la politique. En effet, même si Aristote et Saint Thomas ont mis en avant la notion de Bien, et, en politique, de bien commun, Carl Schmitt veut sortir la politique du champ de la morale et de la religion. A ces dernières revient le droit de trancher le bien et le mal. Tout comme l’esthétique parlera du Beau et du Laid, ou bien l’économie évoquera le rentable et le nuisible.

Les plus philosophes y verront un lien avec ce que les médiévaux appelaient les transcendantaux, des catégories qui divisent et résument le monde (pour aller très vite).

Carl Schmitt reprend donc cette approche par distinction, et propose, pour la politique, la distinction entre ami et ennemi. La politique, c’est désigner l’ennemi. Il faut rappeler que notre auteur a pensé à dire que la politique, c’était l’Etat, l’étatisme, et tout son cortège. Mais il a bien vu qu’après être passé par plusieurs phases, les états occidentaux principalement sont devenir totalitaires. On ne peut dire qu’étatique égale politique, car l’état moderne pénètre tellement la société qu’il agit sur les églises, les arts et l’économie (même en choisissant de ne rien faire). Aussi faut-il trouver mieux pour définition. Le critère ami – ennemi ne vise pas à donner une définition exhaustive de la politique, mais simplement à définir si ce que l’on observe, ce dont on parle, est politique. « Il exprime le degré suprême d’union ou de désunion, d’association ou de dissociation ; il peut exister en théorie et en pratique sans pour autant exiger l’application de toutes ces distinctions morales, esthétiques, économiques ou religieuses ». En effet, comme poursuit notre auteur, l’ennemi politique n’est pas nécessairement mauvais, laid ou cher. Mais il est ennemi. Il est donc politique.

Cette analyse appelle plusieurs observations. Tout d’abord, n’en déplaise à certains, la politique est amorale. Ni bonne ni mauvaise, pour Carl Schmitt la politique ne se juge pas selon ce critère. La guerre juste est, par exemple, l’apposition d’une notion politique et d’une notion morale. Ensuite, le pouvoir politique réside dans cette capacité à désigner l’ennemi et à être suivi. Une église majoritaire et capable d’entraver le jugement du prince (Déclaration de guerre par le roi, mais accueil amical du belligérant) devient alors dépositaire du pouvoir politique, car capable de désigner de manière majoritaire ce fameux ennemi. Enfin, le politique n’est peut-être pas totalement mort. Les exemples récents de guerre contre le virus et les non vaccinés ou encore la désignation de la Russie comme ogre à trois têtes sont par excellence une action politique.

Deux conclusions à cette brève introduction. Selon Carl Schmitt, le combat politique n’est donc pas un combat pour la prise de l’état, mais plutôt un combat pour être majoritaire si on le désigne comme ennemi. Ne nous trompons donc pas de cible. Mais de la même manière, la capacité de nos dirigeants à désigner des ennemis à la vindicte populaire mets en évidence leur réelle capacité de nuisance politique. Et si la France est morte, la politique ne l’est pas. Si nous ne la prenons pas en main, nous en serons victimes.

Carl Schmitt ouvre un axe de réflexion qui mérite toute notre attention, pour sortir des idées reçues qui mélangent tous les plans et stérilisent l’action. l’Etatisme, voilà l’ennemi !

Pour aller plus loin :
Julien Freund, L’essence du politique.