La philanthropie est une pratique ancienne, courante dans l’Antiquité. En Grèce, la générosité des citoyens était encouragée et passait notamment pas le financement des cultes et des jeux. Ce procédé permettait d’exercer un contrôle démocratique sur la richesse tout en mettant en avant les généreux donateurs.

De nos jours, la philanthropie n’est pas seulement l’affaire des plus fortunés mais également une pratique populaire. Un argument classique en faveur de l’encouragement fiscal de la philanthropie est de dire qu’il vaut mieux inciter les riches à donner leur argent plutôt que de le conserver ou de l’utiliser autrement. Mais on oublie que le gouvernement renonce à de l’argent public en déduisant les dons des impôts. La question de la philanthropie s’est aussi un problème de moralité collective et de redistribution.

Il existe une différence entre les fondations privées et le publiques (la Fondation de France par exemple) qui peut être conflictuelle. Cette distinction est pourtant nécessaire afin de favoriser les dons personnels et volontaires qui se différencient de l’obligation à l’impôt. Certaines grandes entreprises (Suez, Total, Danone,…) s’intéressent au social business et créent des fondations qui sont prêtes à collaborer avec des associations. D’autres veulent démontrer l’inefficacité de l’État en matière de redistribution ou de réduction des inégalités, et la supériorité de la logique de marché et ne collaborent pas avec les pouvoirs publics. Si, en France, l’intérêt général se rapporte à l’État, il n’en a plus le monopole et doit collaborer avec les autres acteurs (les collectivités locales, les entreprises, les fondations, les associations, …). Selon un modèle d’économie mixte combinant logique de marché et logique de financement public.

La philanthropie est davantage développée dans certains pays en comparaison avec la France qui a moins cette culture : il y a parfois des réticences à voir des entreprises ou des investisseurs intervenir dans le champ du social ou de la solidarité, domaines considérés comme relevant du monde associatif, des fondations et de l’économie sociale.

PHILANTHROPIE ET POLITIQUE

La philanthropie a aujourd’hui du succès et est favorisée par une fiscalité incitative. Aussi, de multiples fondations voient le jour. Mais serait-elle aux riches et aux puissants ce que la manifestation est aux pauvres et aux ouvriers ? Telle est l’audacieuse thèse défendue par Alexandre Lambelet.

La philanthropie instaure une logique de dépendance et de domination par le don. En effet, il ne s’agit pas d’une relation de réciprocité mais bien d’une supériorité et de sujétion affirmée. Celui qui reçoit n’est pas pleinement libre mais soumis et redevable envers le donateur. C’est ce que le philosophe Marcel Mauss décrivait à travers la tradition du potlatch : un cadeau en appelle un autre plus grand et celui qui fait le plus grand présent ressort victorieux à l’issue de l’échange. Le don et l’altruisme sont alors instrumentalisés au service de la domination et de la volonté de puissance.

La philanthropie est une forme et un exercice de pouvoir, agit-elle en faveur ou au détriment de la démocratie ?Se distinguant de la charité, le rôle de la philanthropie est éminemment social : servir le bien commun et l’intérêt général. Cette visée varie en fonction des contextes nationaux et des objectifs des groupes qui s’en emparent, non sans visée politique ou idéologique. Elle est ainsi, pour certains, un instrument de progrès social et, pour d’autres, un instrument de contrôle social.

Ce virage politique a lieu avec le soutien de mouvements sociaux par les fondations qui entrent alors dans le champ politique avec notamment le soutien aux mouvements de droits civiques et de justice sociale. L’impulsion que l’aide financière des fondations a donnée aux mouvements sociaux a fortement influencé les priorités politiques des élus. La philanthropie entre alors dans le champ de l’influence et du lobbying, de l’économie politique.

PHILANTHROPIE ET CAPITALISME

La pratique philanthropique est-elle une mutation du capitalisme ? Bill Gates avec les autres milliardaires, ont choisi de réinvestir une part de leur fortune dans des fondations. Le changement réside dans l’introduction du risque dans la pratique philanthropique, brouillant ainsi les frontières entre le monde de la finance (investissement à impact social) et celui de la solidarité (philanthropie à risque).Le développement social comme la réduction des inégalités fait partie des objectifs du développement durable et la philanthropie répond en cela à des préoccupations actuelles et grandissantes. On la retrouve ainsi dans les stratégies du Fonds monétaire international (FMI), de l’Union européenne avec l’Agenda 2030, de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) ou encore de la Banque mondiale, qui considèrent que les inégalités constituent un frein à la croissance et sont un facteur d’instabilité politique.

Les motivations du don sont-elles vertueuses et orientées vers le bien commun ?L’une des motivations est de bénéficier d’avantages fiscaux importants. Cette déduction dépend de la tranche fiscale dans laquelle on se situe, un don d’un euro peut après déduction coûter un euro pour les plus pauvres contre 60 centimes pour les plus riches. Cela signifie que le système fiscal subventionne davantage les choix et les préférences des riches que ceux des pauvres.

La création d’une fondation peut également être motivée par la volonté de revaloriser son image suite à des critiques de son entreprise. L’empreinte des philanthropes est visible : leurs noms apparaissent inscrits sur le fronton des bibliothèques, imprimés par ordre de montant de donation dans les programmes de spectacles, gravés sur les bancs publics, sur les panneaux d’affichage des écoles et jusque dans les CV des étudiants boursiers. C’est une marque de reconnaissance symbolique et un affichage de la prodigalité des donateurs.

L’examen des pratiques philanthropiques des grandes fortunes qui dominent le monde des fondations montre une préférence à investir dans les universités et les activités culturelles que dans la réduction de la pauvreté et des inégalités. La philanthropie relève davantage d’une manière de consolider des stratégies de gestion de patrimoine, ou encore d’une volonté de consolider le pouvoir des élites, en établissant des continuités entre pouvoirs financiers dans l’entreprise et dans la philanthropie.

Les relations entre philanthropie et pouvoirs publics sont complexes mais une coordination est nécessaire. La philanthropie peut faire évoluer le capitalisme sous la pression des mouvements sociaux. Elle propose une nouvelle approche ayant pour ambition de renouveler la solidarité. Le manque croissant de transparence et de redevabilité de ces fondations qui sont réputées agir de façon opaque, inquiète les pouvoirs publics. Contrairement aux institutions publiques, les organisations philanthropiques ne sont pas contraintes de rendre de comptes sur leurs dépenses et investissements. La philanthropie devrait être un outil d’innovation et de prise de risque plutôt qu’un exercice de pouvoir.