La question de l’autorité, de l’homme providentiel qui serait recherché et attendu par les français est sans cesse remise au cœur du débat au moment des élections présidentielles. Depuis la Révolution, qui sonne le glas de la monarchie, plusieurs leaders charismatiques se sont imposés. Le fantasme d’un grand homme prêt à guider la patrie en péril et garant de son unité en rassemblant autour de sa personne s’est instauré (Napoléon, De Gaulle, …). Il semble qu’aujourd’hui aucune personnalité n’émerge pour rassembler les Français malgré les attentes fortes et croissantes. Derrière cette question du choix d’un chef à la tête de la Nation, se pose la question de l’autorité. L’autorité vient du latin auctoritas et désigne le fait d’exercer une volonté, de commander et d’être obéi en tant que garant de la réussite de l’action entreprise, elle renvoie donc à la légitimité. Cette notion va de pair avec celle de potestas, « Cum potestas in populo auctoritas in Senatu sit » (tandis que le pouvoir réside dans le peuple, l’autorité appartient au Sénat, Cicéron, De Legibus, 3, 12, 38). La potestas désigne l’aptitude à communiquer et à agir en groupe, collectivement et se matérialisait dans la loi. La potestas est synonyme du pouvoir légal. Selon Patrick Buisson, le pouvoir n’est pas simplement la potestas, l’exercice du pouvoir, c’est aussi l’auctoritas, quelque chose qui transcende et légitime ce pouvoir et ces deux notions interrogent la légitimité du pouvoir qui se pose aujourd’hui. Dès lors, quels peuvent être les ferments de cette demande et en quoi le contexte actuel peine-t-il à faire émerger une figure légitime qui suscite le consensus et de laquelle émane une autorité ?

Jadis détenteur d’une légitimité de droit divin, le pouvoir du dirigeant est conçu sous le prisme du lien filial. En effet, le monarque est aimé bien que non choisi à l’image de la famille. Cette tradition de la sacralisation des dirigeants est observée par l’historien Marc Bloch avec les rois thaumaturges. Le caractère magique des pouvoirs était entretenu avec la pratique de « guérir les écrouelles » prêtés aux rois de France (« le roi te touche, Dieu te guérit »). Des codes symboliques se mettent également en place ainsi que des rituels permettant de rassembler autour de références et d’une culture commune s’appuyant sur la monarchie (rites religieux, attributs du pouvoir, sacre, …). Cette sacralisation du dirigeant s’accompagne de la diabolisation de l’ennemi afin de conserver son autorité, qu’il soit intérieur ou extérieur. La levée d’une armée et la recherche de bouc-émissaires permettent de détourner des affaires du royaume et de fédérer l’Etat-Nation autour d’une même cause nationale.

La mutation d’un pouvoir hérité, conféré à un pouvoir obtenu, donner comme un attribut s’explique par l’émergence de la démocratie et d’un pouvoir conféré par le peuple qui s’inspire des thèses contractualistes chez Rousseau avec la notion de volonté générale qui pense le pouvoir comme un choix rationnel au profit de la sécurité. Plus tard, le marxisme avec la conscience de classe du prolétariat, censée unifier les hommes pour renverser l’ordre établi suite à la prise de conscience de son aliénation modifiera les rapports et équilibres du pouvoir en en modifiant le caractère personnel, incarné au profit d’un pouvoir partagé émanent d’une élection populaire. Ces mutations s’accompagnent d’une judiciarisation et une emprise de plus en plus importante du droit qui réduit les libertés et réduit également les écarts entre la légalité et la légitimité.

Dès lors, pour Max Weber il existe trois façons d’institutionnaliser le pouvoir : la légitimité charismatique qui repose sur les qualités exceptionnelles de la personne, sa vision novatrice du monde ; la légitimité traditionnelle qui repose sur le poids du passé, de la tradition, des us et coutumes et la légitimité légale-rationnelle qui repose sur la croyance en la légalité des règlements.

Ces évolutions historico-politiques se poursuivent à l’époque moderne avec le développement du système économique et d’une économie capitalisme cyclique ponctuée de crises dans laquelle les acteurs économiques tendent à s’autonomiser par rapport au pouvoir étatique. L’incapacité de l’Etat à juguler les crises et l’asservissement du pouvoir aux mécanismes du marché, dans une société basée sur la consommation, produit de l’instabilité. D’une crise économique nous passons alors à une crise politique de régulation. La gouvernance internationale et européenne accentue ce phénomène en modifiant les échelons de décision et en dépossédant l’Etat de ses compétences et de ses prérogatives de souveraineté. La légitimité des dirigeants nationaux s’effrite donc et Zygmunt Bauman analyse en ce sens la société qu’il qualifie de « société liquide » en observant la perte de reconnaissance des institutions qui ne parvienne plus à maintenir l’ordre des choses. L’Etat a fait illusion en multipliant les politiques d’aides sociales et de financement par l’Etat-Providence mais il ne parvient plus aujourd’hui à répondre aux attentes croissantes. Dépossédé de ses moyens d’action, évoluant vers un pluralisme ou les valeurs, croyances, traditions ne sont plus partagées, le système n’a plus de socle sur lequel se fonder. Les particularismes prolifèrent et divisent dans une guerre de tous contre tous. Face à ce constat, Jürgen Habermas juge que les démocraties modernes sont traversées par une « crise de légitimation ». La légitimité du pouvoir consiste en un pouvoir qui est fondé et dans la confiance qui lui est accordée or Habermas suggère que la légitimité s’est déplacée du cadre institutionnel global vers des revendications plus ponctuelles et catégorielles.

Cette crise de légitimité pourrait également s’expliquer par un effritement des légitimités traditionnelles observées par Hannah Arendt ainsi que la dégradation des hiérarchies immémoriales qu’elle qualifie d’ « assises du monde ». Les ferments de la remise en cause de l’autorité et des institutions peuvent donc être considérés comme étant d’ordre anthropologique. Ils sont observés dès la révolution copernicienne et les Lumières qui mettent l’homme au centre de toute chose et l’idée de faire tabula rasa (table rase). Prolongé plus tard par la déconstruction, ancré et achevé avec le libéralisme et le capitalisme marchand, l’individualisme exacerbé est en décalage avec l’idée traditionnelle de société, de communauté nationale. Elle aboutit à la remise en question de l’autorité en tant que telle, comme pouvoir de contrainte, comme limite à laquelle les individus se confrontent. Toute contrainte est alors perçue comme une persécution, une violence. cela se traduit par le refus de tout sacrifice d’une part de sa liberté au profit d’un bien commun. Or, pour Patrick Buisson, « le service du bien commun doit être conçu comme un sacrifice ». Les dirigeants n’ayant pas toujours pris acte de la charge qu’ils portent et de ce que représente leur mandat et le peuple ne voulant plus se soumettre à l’autorité, l’ordre public se voit remis en question.

La crise de la légitimité conduit à une remise en cause des institutions, du gouvernement, des modes de gouvernance et des gouvernants ainsi qu’à une perte de cohésion sociale avec la disparition des valeurs, croyances et du socle commun. Le bien-être individuel se substitue au bien commun qui transcendait les opinions. Il n’y a aujourd’hui plus de consensus sur la notion d’autorité et sur la façon de l’exercer, cela se traduit parfois par un désengagement et un certain laisser-faire ou à l’inverse à des mesures coercitives, de sanction ou de stigmatisation pour tenter de maintenir l’ordre public. Au lieu d’un Etat qui remplit un rôle régulateur, on passe à un encadrement d’ordre juridique, médiatique selon le principe de « diviser pour mieux régner ». La capacité à convaincre est alors mise au coeur des préoccupations politiques, car la lutte pour la reconnaissance passe par la capacité d’influence, bien plus que la recherche de faire émerger la Vérité.

De plus en plus inspiré du privé et du management, le New public management introduit de nouveaux concepts de gestions dans les affaires publiques avec une exigence de rationalité, d’efficacité, d’efficience et une exigence de résultats qui peut apparaitre en décalage avec l’essence du domaine de la politique.

La dégradation de l’autorité, au profit d’une émancipation et d’une liberté fantasmée, provoque une perte de repères et du socle commun unificateur. Cette dégradation provoque un vide qui demande à être comblé. Les attentes sont alors grandissantes d’un chef capable de s’imposer, de susciter un consensus et une adhésion nationale ou à l’inverse d’une volonté de faire sécession. L’individualisme se renversera-t-il au profit d’un retour au collectif ?