La crise sanitaire a mis en avant le concept de care, (soin en anglais), qui polarise le débat public. Repris par la sphère économique, il devient un nouvel argument de vente.Le développement de la care economy est lié à l’évolution du rapport au corps dans la société, entre culte de l’apparence et rejet des préoccupations de l’âme.
L’avènement de la démocratie s’est accompagné de l’émergence de l’individualisme, et ainsi une nouvelle perception au corps s’est instaurée. Le corps permet désormais de se construire, de s’affirmer en tant qu’individu. Avec l’aide des médias de masse et de la société de consommation, le mouvement d’hyper valorisation du corps s’intensifie, avec, entre autres, des normes esthétiques très exigeantes et un véritable culte du sport. En parallèle, ce nouveau rapport au corps exige la lutte contre le vieillissement et la maladie.
Le marché s’est donc saisi de cette obsession d’un corps beau et sain (cosmétiques, mode, sport, régimes, chirurgie esthétique, etc.).Cette nouvelle branche de l’économie est devenue indispensable, autant sur le plan économique que social. Ce mouvement de “care” a été très largement accéléré par les nombreux progrès techniques (compensation du handicap, tâches pénibles de plus en plus réalisées par des automates, etc.). La science et la technique nous donnent l’illusion d’échapper aux déterminismes naturels et héréditaires pour modifier notre apparence (chirurgie esthétique, vers le transhumanisme), et sont ainsi devenues des instruments au service de l’émancipation.
Ainsi, sous la pression des consommateurs, l’État s’est peu à peu saisi de ces questions. En tant qu’autorité et entité législatrice et créatrice d’un ordre, il légifère et intervient dans ce domaine pour suppléer ou compléter les initiatives individuelles.
Aux racines de la care economy se trouvent la dimension familiale et la sphère privée, où naissent les premières préoccupations de care. On peut ainsi parler de care economy pour décrire toutes les activités liées au care réalisées dans la sphère privée, mais tenant de l’économie informelle car non déclarées/non rémunérées, et pourtant essentielles à la vie d’un foyer.
L’homme, en tant qu’animal vivant en communauté, a besoin de relations sociales pour vivre ; le soin, en tant qu’il est donné et reçu par réciprocité, est structurant pour son existence. Sa condition humaine a fait de l’Homme un être dépendant des siens, vulnérable, mais aussi enclin à se donner, à s’engager pour les autres. C’est cette tension qu’observe le care. Le care a toujours existé avant d’être théorisé. Il est inhérent, consubstantiel à la vie humaine. Le care, c’est le soin, mais au sens large. Bien plus que le soin, c’est l’amour, si nous extrapolons. Plus qu’une part nécessaire de la vie, il en constitue l’essence. Voilà pourquoi le care est omniprésent et omnipotent.
Remis au goût du jour dans un contexte de crise sanitaire, le care n’invente rien, ne décrit rien de nouveau et est tellement multiforme qu’il en devient insaisissable. Certains diront : « Il nous faut plus de care ». Si vous remplacez le terme de care par celui d’amour, vous comprendrez l’ineptie de ce concept et des revendications politiques qui en découlent.
Pourquoi ce concept a-t-il surgi / resurgi ? Il est lié, d’une part, à un sentiment de frustration exacerbé par le contexte économique et social, et, d’autre part, à un refus d’assumer les sacrifices et les souffrances par lesquels sont passés les processus fondateurs/créateurs. Ce refus de la souffrance et de la mort s’effectue au profit de l’idolâtrie de la vie. Face au vide de la vie intérieure, on cherche à trouver un sens extérieur à l’existence. C’est cela que promet le care. C’est en quelque sorte le nouveau « aimez-vous les uns les autres », mais déchristianisé. S’interroger sur le care, c’est mener une réflexion anthropologique et presque existentialiste. La question de la morale est centrale et ce concept pose également la question des limites et la question de dignité de la personne humaine. C’est en quelque sorte une morale laïque qui se veut remettre de l’éthique dans un monde qui en est dénué ou tout du moins dans lequel cette éthique s’effrite.
On parle de care economy dans ce même sens. La care economy décrit une volonté de rendre l’économie plus morale et de se soustraire à la culpabilisation qu’a engendrée la logique de marché et les déviances du capitalisme.
Enfin, le care interroge notre modèle de gouvernance et c’est en cela qu’il est intéressant de l’étudier. Ce travail sur le care sous-entend une volonté de trouver des principes universels capables d’orienter les individus vers le bien. Le care serait alors un nouveau principe fédérateur, un nouveau mythe, en quelque sorte, capable de rassembler en faisant consensus, et d’orienter l’action publique. Le care nous pousse à remettre en question nos organisations et systèmes, à mener une réflexion pour une mutation dans une logique orientée vers le bien commun. C’est l’ultime tentative d’agréger la communauté mondiale face à un universalisme qui est à bout de souffle et de réorienter progressivement la gouvernance vers les échelons intermédiaires : national, régional, local. Le principe de subsidiarité devient alors incontournable. On pourrait parler de cybernétique : la care economy pourrait être considérée comme un système globalisant qui tend à inclure tous les champs de la vie et à les soumettre à sa vision, presque son idéologie, du soin. Est-elle totalisante ? Peut-elle aboutir à une restriction des libertés, à une atomisation des relations sociales en les polarisant autour du paradigme du soin ? Ce sont autant de questions que soulève ce sujet.
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