En 2000, le grand reporter Gilles Luneau, spécialiste des questions agro-alimentaires, sort un livre d’entretien avec les militants paysans François Dufour et José Bové, intitulé « le monde n’est pas une marchandise ». Dans cet ouvrage, il est question de l’avenir de la paysannerie, de l’industrialisation de l’agriculture, du rapport à la terre qu’entretiennent les hommes et des multinationales américaines.
Bien que sorti il y a plus de 20 ans, le livre permet de comprendre bon nombre d’enjeux entourant l’agro-alimentaire. Force est de constater que malheureusement, les questions abordées sont toujours d’actualité et que le monde agricole n’a pas l’air de s’être réellement amélioré. En témoigne le nombre record de suicides de nos agriculteurs : environ un agriculteur se suicide tous les deux jours en France.
Mais le phénomène ne date pas de Macron. En effet, dès les années 1960, la profession agricole est celle qui connaît le plus de suicides. Mais comment expliquer un tel phénomène ? Et comment les agriculteurs, censés nous nourrir, n’arrivent plus à se nourrir eux-mêmes ?José Bové et François Dufour parlent d’abord de l’arrivée du modernisme dans le métier de paysan. Peu après la Seconde Guerre mondiale, la JAC, Jeunesse Agricole Catholique, souhaite donner de l’enthousiasme aux jeunes paysans en lançant toute une campagne tentant de mettre en avant ce métier souvent dénigré. Le discours est “Vous n’êtes pas des ploucs”. Le pays est à reconstruire et les paysans sont attendus au tournant. L’enthousiasme de la JAC, sûrement pavée de bonnes intentions, va conduire toute une génération de paysans à se moderniser. Sans parler, bien sûr, des politiques de l’Union Européenne qui avaient la volonté de rendre l’Europe autonome.
Cette modernisation va conduire à une forme d’émancipation, complètement en phase avec le système capitaliste. Le jeune paysan quitte la ferme familiale, s’installe seul, et achète de belles machines dernière génération. En investissant, et donc en s’endettant, le paysan acquiert un certain statut social. C’est le début de la fin. L’ancien monde est détruit au profit de l’avenir : le règne de la technique. Ajoutez aux machines les produits chimiques et vous vous retrouvez avec un métier, autrefois noble, qui devient l’inverse de ce pourquoi il existait. Le paysan est désormais producteur. Pire que ça, il devient un consommateur parmi les autres. Le paysan n’a plus son propre poulailler, son potager. Il exploite la terre mais ne sait plus la travailler. Grâce aux produits chimiques, les OGM, toutes les terres deviennent fertiles !
A ce modernisme s’ajoute la détresse sociale des nouvelles générations. Après de belles études à sortir avec ses amis, boire des coups, s’amuser autant qu’on peut, le paysan se retrouve seul, à 30 ans, sans femme, ni enfants, à devoir gérer une ferme immense. Pas le temps pour des vacances, pas le temps non plus pour draguer. Contrairement à son grand-père qui travaillait dans la nature au rythme des saisons, le jeune agriculteur travaille au rythme des machines. Contrairement à son grand-père qui travaillait en communauté, qui pouvait avoir de l’aide lorsqu’il était malade, le jeune paysan risque la faillite s’il s’arrête. Ce stress permanent se traduit par la disparition de la ferme familiale. Les enfants ne veulent pas récupérer la ferme de papa, pourtant moderne, parce qu’elle ne génère qu’angoisse et problèmes.
Mais face à des constats qui font froid dans le dos, José Bové et François Dufour donnent une belle note d’espoir en montrant l’engagement militant de beaucoup de paysans contre le monde moderne. Et on le voit aujourd’hui, une prise de conscience a bien évolué sur la question agricole. Si le parcours de José Bové est tâché par un engagement dans la politique politicienne, il demeure un exemple de courage militant, qui n’a pas hésité à s’opposer à la GPA et à la PMA. La vie communautaire, organisée, semble être notre seule solution. C’est ce qu’ont montré les paysans du Larzac, victorieux et à l’origine de nombreux autres mouvements militants, de gauche certes, mais efficaces cependant.
Tout n’est pas forcément abordé dans cet ouvrage et les interlocuteurs parlent beaucoup de leur propre expérience. “Le monde n’est pas une marchandise” constitue une bonne manière de comprendre certains points clés de la question agricole pour ensuite approfondir la question.
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