Le piège de la Technique | Dextra

Les années 50 ont été marquées par une explosion de la consommation, accompagnée d’un immense enthousiasme qui assoit la société de consommation et le culte du progrès. La modernité a transformé les moyens en fin et le système technicien ne se reconnaît aucune externalité. Tout ce qui sera techniquement possible doit être réalisé.

La technique n’est ni bonne, ni mauvaise. Elle n’est cependant pas neutre puisqu’elle transforme le monde. La voiture par exemple a changé notre perception de l’espace et du temps en fonction des performances automobiles. La cheminée a été remplacée par la télévision et maintenant par Netflix. Anciennement centre du foyer, pièce à vivre et de réunion, la substitution de la cheminée a provoqué le démembrement de la structure familiale ou communautaire.

Il y a un véritable emballement. La technique, au-delà d’une adaptation à son environnement, transforme ce dernier en profondeur du fait de son autonomie. Elle s’est développée avec l’humanité et a d’abord fait office de moyen tant que son usage restait maîtrisé. Mais elle est devenue progressivement prolongement du corps jusqu’à reléguer l’homme au second plan, devenant ce à quoi nous devons nous adapter et non moyen d’adaptation.

Nous entendons aujourd’hui le terme de révolution numérique. On ne parle plus d’analphabétisme mais d’illectronisme. Ceux qui ne parviennent pas à maîtriser les outils numériques sont doucereusement mis au ban de la société.

Ainsi, les effets négatifs du progrès technique ne sont pas limités à son mauvais usage. Cette technique est l’expression fidèle de l’hétérotélie prométhéenne : il y a une telle foi en la technique que l’on ne s’intéresse aux conséquences qu’après avoir constaté, avec une généreuse mauvaise foi, que les résultats n’étaient pas ceux escomptés. Ce comportement envers la technique en est presque de l’ordre du fétichisme, en témoigne l’usage généralisé du portable. En voulant user de la technique pour répondre à des problèmes, de nouveaux sont créés, que l’on promet de résoudre plus tard. Elle est devenue la seule réponse aux problèmes économiques, environnementaux, moraux, sociaux, affectifs, reproductifs. On notera également que la séparation de la reproduction et de l’affection n’est pensée possible que par la technique. Nous vivons l’ère heureuse du « sans-contact » et du « distanciel », néologisme qui est entré de manière pernicieuse dans le langage courant. Nous payons, nous votons, nous faisons nos courses « sans-contact », nous travaillons en « distanciel ». Et tout tend à devenir « sans-contact ».

La phagocytose de la nature par la technique est un cancer qui se développe par métastase : répondre à des problèmes par la technique en créé de nouveaux, menant de plus en plus en plus à un monde artificiel.
La technique est devenue un processus sans sujet et l’homme en est son accessoire. Nous sommes les hôtes de la technique. L’une des conséquences les plus vicieuses est la marchandisation de toute chose, à commencer par les biens libres communs et gratuits, qui sont devenus des services payants.

Il faut sortir du piège.

L’insurrection ne s’organise pas dans les villes. Le préalable à toute opération possible est la fuite hors de la métropole. « Les racines profondes ne gèlent pas », disait Tolkien. Résister à cette cabale technicienne ne peut se faire sans se réapproprier les lois de la nature, tandis que nos opposants luttent contre elle pour renverser l’ordre naturel. Ce refus de la société technicienne ne peut passer que par une révolution qui trouve son origine dans une prise de conscience personnelle et un effort communautaire pour sortir de l’hubris.