Le prix de l’essence augmente, le prix du gaz aussi… Si l’extraction des énergies fossiles reste encore « bon marché » leur nature limitée et leur raréfaction sont une certitude. C’est une question de temps avant que l’extraction d’un baril coûte plus cher en énergie que ce qu’il rapporterait.

La pollution de l’atmosphère augmente, les températures aussi… Des pics de chaleur mortels ont été enregistrés en Inde et au Pakistan en avril et la sécheresse ainsi que la canicule sont devenues des rituels annuels dans des régions françaises où elles étaient historiquement des exceptions, surtout au printemps !

Seule une source d’énergie illimitée et propre pourrait nous sauver. Tous les héros ne portent pas de cape, certains sont en blouses blanches d’ingénieurs et sont en train de fabriquer le miracle : la fusion nucléaire.

Les centrales nucléaires existantes exploitent la fission, c’est-à-dire la désintégration d’atomes lourds en éléments plus légers qui dégage de l’énergie. Dans la fusion, ce sont au contraire des noyaux très légers qui s’assemblent pour former des atomes plus lourds, en dégageant une grande énergie. Retenons simplement qu’il faut du deutérium (présent en quantité illimité dans l’eau de mer) et du métal de lithium (présent dans de nombreux sols) pour alimenter la réaction de fusion.

Des obstacles théoriques et pratiques demeurent mais les investissements colossaux de nombreux États et (fait nouveau) de fonds privés offrent un nouvel élan et une diversité dans les recherches en cours qui laisse présager une solution commercialisable d’un réacteur à fusion dans cette décennie ou la prochaine.

La fusion porte en elle toutes nos illusions, pas encore perdues, sur le système technocapitaliste.

Illusion politique : pour de nombreux souverainistes indécrottables la venue de la fusion nous permettra de retrouver notre indépendance nationale. Finie la dépendance au gaz russe et au pétrole des pays du Golfe. De l’eau de mer on en a plein et des gisements corrects de lithium existent en Bretagne et en Auvergne.

Mais de quelle souveraineté parlons-nous ? Quiconque s’est promené dans les files d’attentes de la CAF, les centres de tri de bagages de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle ou les bureaux du siège de Bouygues ne peut que constater que la force et l’indépendance des institutions économiques ou politiques françaises n’a plus, et depuis longtemps, de corrélation avec le bien-être de notre peuple. D’un côté le rentable grand remplacement a eu lieu et de l’autre des cadres blafards et stériles, aux tâches toujours plus procéduralisées, alternent entre burn, bore et brown-out.

De plus, la complexification d’une technique entraine nécessairement l’accroissement des réseaux et des ensembles politiques devant s’entremêler pour qu’elle se déploie. Un moulin peut tourner grâce à un village, une fusée ne peut aller dans l’espace que grâce à des pays-empires (États-Unis, Russie, UE, Chine, …).

Une énergie aussi puissante que celle dégagée par la fusion nucléaire n’aura pas pour effet de ressusciter des souverainetés du passé mais intensifiera l’interdépendance de tous les pays entre eux : pays constructeurs de réacteurs, pays producteurs de fusion, pays « raffineurs », pays vendeurs, pays clients, …

Le plus grand projet de réacteur à fusion, ITER, en cours de construction dans les Bouches-du-Rhône, illustre bien ce principe en étant financé par 35 pays, dont la Chine, les États-Unis, la Russie et l’UE.

Illusion écologique : contrairement à la fission, la fusion ne produit pas en elle-même de déchets radioactifs et son usage nous libérera des énergies fossiles dont la consommation dégage du CO2 dans l’atmosphère.

Oui mais, l’extraction de métal de lithium ce sont de gigantesques mines qui pulvérisent littéralement des paysages, une consommation importante en eau et la construction d’infrastructures industrielles et de transports. Le Finistère va prendre cher…

Surtout, la pollution carbonée a bon dos mais elle n’est que peu directement responsable de la destruction de la nature. L’extension des zones urbanisées, la densification des flux, des infrastructures (autoroutes, antennes, …) et d’une manière générale toutes les formes d’arraisonnement des ressources et des espaces sont les phénomènes qui ont l’impact le plus important. Une énergie illimitée comme la fusion permettra une extension illimitée de la civilisation industrielle.

Les espoirs exprimés avec l’avènement de la fusion sont symptomatiques d’une société qui ne comprend pas que chaque technologie comporte en elle un « système » qui s’imposera entièrement à ceux qui l’utilisent. Des technologies comme le train, l’automobile, internet et la cybernétique ne sont pas régies par la volonté humaine. Ce sont elles qui modifient et façonnent notre rapport au monde, aux autres et à nous même indépendamment des raisons pour lesquelles elles ont été créées initialement.

La logique technicienne veut que chaque nouvelle technologie vienne répondre aux problèmes matériels engendrés par une technologie antérieure ; jusqu’à que cette nouvelle technologie cause de nouveaux problèmes matériels qui doivent être corrigés par une autre innovation… Pour la civilisation industrielle, la fin du monde est un défi à relever.

En cela la fusion vient corriger notre dépendance aux énergies fossiles, comme la capacité à vacciner la population mondiale vient corriger la vulnérabilité d’un monde totalement ouvert aux épidémies ou comme la cybernétique vient corriger la surveillance, impossible par des moyens humains, des grands ensembles politiques engendrés par la sophistication de la technique. Christofer Mowry, PDG de General Fusion résume bien : « C’est un défi existentiel. La fusion est en quelque sorte le vaccin contre le réchauffement climatique ».

Pour Aller plus loin :

Nos réflexions sur la technique :
https://dextra.fr/le-conditionnement-par-la-technique/
https://dextra.fr/on-arrete-pas-le-progres/
https://dextra.fr/le-piege-de-la-technique/