Aujourd’hui, on ne peut que constater la disparition de la philosophie, du moins l’anthropologie fondamentale. Par anthropologie, on entend communément discipline philosophique cherchant à connaître et définir l’homme. L’anthropologie fondamentale étudie le vivant, et est vivant en philosophie, celui qui se meut par lui-même et qui dépend d’au moins une des causes suivantes: efficiente, formelle et finale. Si l’on prend l’exemple d’une maison, la cause formelle, c’est le plan de l’architecte, qui pourvoit à la nécessité de donner une forme. Les causes efficientes sont les personnes qui ont participé à la construction de la maison : menuisier, peintre, électricien, etc. Et sa cause finale, qui est aussi sa fin, est de protéger les habitants de cette maison des intempéries. L’anthropologie fondamentale est une philosophie essentielle semblant avoir plus d’une fonction. On connaît l’être vivant qu’est l’homme, on comprend davantage sa spécificité et surtout en quoi il se distingue de l’animal. De plus, l’anthropologie fondamentale permet de trouver un fondement à la morale, car comment définir le bien de l’homme sans définir ce dernier au préalable ?Toutefois, cette philosophie semble désormais absente du paysage disciplinaire, tant le concept de définition est devenu un gros mot. L’anthropologie apparaît avoir disparu, ou du moins semble avoir été réduite à une simple critique des sciences, ou à une étude historique du concept d’homme.

Ce sont les sciences qui se sont appropriées la capacité de comprendre et définir l’homme, au nom d’une soi-disant objectivité, dans la mesure où elles se fondent sur l’observation et l’expérimentation de la nature. En remplaçant l’anthropologie fondamentale, la science devient le nouveau fondement de la morale, et ce, à partir de la théorie de l’évolution, de la biologie moléculaire et de la neurologie.

Ainsi, du scientisme – théorie selon laquelle la science est la seule source de savoir véritable, face notamment à la religion, aux croyances, où à toute autre discipline non admise comme scientifique – découle un phénomène très subtile que l’on appelle la naturalisation de la morale. L’objectif est de récolter dans les sciences des données extrêmement précises sur le développement, le fondement et l’origine des normes et des valeurs morales propres à l’espèce humaine. Il s’agit de trouver la nature de la morale à partir des sciences. La volonté affirmée est donc de construire un nouvel humanisme et une nouvelle éthique universelle. Les scientifiques derrières cette thèse soutiennent donc d’une part que les êtres humains ont des prédispositions naturelles au jugement moral et, d’autre part, que la normativité éthique résulte de la dynamique évolutive. En effet, les prédispositions naturelles au jugement moral se fondent sur l’extrême complexité du cerveau humain, complexité qui est caractérisée par les niveaux d’organisation que se sont construits tout au long de l’évolution.

De prime abord, fonder et expliquer nos comportements moraux par des mécanismes naturelles du cerveau, au vue de fonder une morale universelle, ne semble pas néfaste, bien au contraire. La morale est naturalisée, soit fondée sur la nature humaine, et est commune à tous, car découlant d’un organe proprement humain. Pour être plus précis, on considère le lob frontal comme étant le site du cerveau où siègent les normes morales. Le système neuronal permet donc de réguler l’activité sociale et l’accès à la sympathie et la colère, et par là même la survie du groupe. Les scientifiques estiment donc ainsi prouver scientifiquement qu’il existe des normes morales universelles et que ces dernières sont d’origine naturelle: le système neuronal. Que reprocher à cette thèse ?Si la science devient le nouveau fondement de la morale en tant qu’elle se voit la naturaliser, il faut au préalable comprendre la vision que la science a de la nature. En effet, comment la nature est-elle définie ici ? Il se trouve que science et philosophie n’entendent pas la nature de la même manière et qu’en cela, une science qui se veut être l’unique moyen de comprendre et définir l’homme, prend un risque considérable de réductionnisme.

Par nature, la science entend la réalité en tant qu’elle est accessible par les sens, en tant qu’elle est construite et comprise uniquement par les sens. Les sens ne fournissant qu’une connaissance sensible, la nature en science est donc définie comme la matière. Par nature, la philosophie entend plutôt un principe qui réside au-delà des sens. Dès lors, si la science devient aujourd’hui l’unique fondement de la morale parce que l’unique moyen de comprendre et définir l’homme, alors l’homme se voit réduit à la matière, à la cause matérielle, seule cause qui n’est pas propre au vivant comme nous l’avons vu précédemment. De plus, si tout agir moral de l’homme est expliqué par le système neuronal, alors qu’en est-il de notre capacité proprement humaine à nous opposer à la nature parfois par la raison? A poser un acte libre car réfléchi et délibéré? Cette raison, non accessible par les sens, est ce qui fonde la définition de la nature humaine et donc le fondement de la morale en philosophie, et précisément en anthropologie fondamentale.

Dès lors, le primat de la science, en prônant une définition universelle parce que organique de l’homme, et en se vantant de fonder la morale sur un principe infaillible car matériel, se veut réduire l’homme, mais surtout réduire sa liberté et sa volonté. Aujourd’hui, nous sommes entourés de zombie, qui n’agissent plus mais consomment, qui ne pensent plus mais sentent, qui ne choisissent plus mais s’identifient. Certes, la mollesse générale peut révolter, mais il est bon de comprendre qu’elle n’est pas seulement le fait d’un homme qui ne vit plus. Elle est aussi le conséquence d’idéologies, comme le scientisme, qui préparent cette horde de zombie depuis le 19ième siècle au moins.

C’était bien la peine de tuer Dieu si c’était pour le remplacer par une autre idole, le scientisme, qui anéantie d’autant plus l’homme, sa raison et sa liberté.