Cette ouvrage est la dernière œuvre actuelle du Comité Invisible. Ce dernier est paru aux éditions “La fabrique” le 21 avril 2017, quinzième anniversaire du passage de Jean-Marie Le Pen au second tour en 2002.
Le Comité Invisible regroupe un certain nombre d’auteurs anonymes. On fait souvent référence à Julien Coupat et à la bande de Tarnac, lorsqu’il s’agit d’en découvrir les auteurs. Julien Coupat est un militant de gauche radicale. Il est l’un des membres fondateurs de la revue Tiqqun, qui fut au tournant des années 2000, un véritables moteur dans la pensée situationniste, radicale et libertaire. Arrêté en septembre 2008, lors de l’affaire Tarnac, la sortie du premier ouvrage du comité invisible : “L’insurrection qui vient” a connu un succès important pour un essai politique radicale (traduit dans 5 langues différentes, il a été vendu à plus de 60 000 exemplaires).En mars 2018, Mathieu Burnel déclare au tribunal (lors du jugement de “l’affaire Tarnac”), être “la principale plume” du comité invisible. Il fait d’ailleurs une apparition remarqué dans “Ce soir ou jamais” en 2014 (trouvable sur les internets).
Le premier ouvrage, “L’insurrection qui vient” (La Fabrique, 2007) / (https://lafabrique.fr/…/2017/05/pdf_Insurrection.pdf ) est un pamphlet en faveur d’une insurrection nécessaire. Entre cadre pratique et guide d’encadrement et motivation, cet essai a pour objectif de modifier la vision de la jeunesse radicale sur la question de la lutte sociale en les amenant à changer leur vision de l’appareil d’état et de contrôle et la confrontation nécessaire face à lui.
Leur deuxième ouvrage, “A nos amis” (La Fabrique, 2014) / (https://juralib.noblogs.org/files/2014/12/Anosamis.pdf) est un tour d’horizon des différentes insurrections passés et présentes lors de sa publication. Cet ouvrage s’articule autour de deux axes principaux : la critique des structures et des actions mises en place, notamment le “fétichisme” de la démocratie qui a entraîné la défaite de ses insurrections. L’impossibilité d’une révolution classique, qui doit être remplacé par une destitution du pouvoir et des flux.
“Maintenant” s’inscrit dans la lignée de ses précédents ouvrages. Il pourrait être défini comme l’essai le plus politique, ou du moins le plus explicite en terme de ligne politique du Comité Invisible. L’ouvrage s’articule autour de sept chapitres amenant à la thèse suivante :Il est aujourd’hui impossible de lutter contre les pouvoirs en place, l’humanité est à présent entièrement quantifié et qualifié, entraînant une disparition totale de la liberté. La solution est la conspiration mi-secrète, mi-publique, afin de créer des communautés qui pourront tout simplement destituer (comprenez échapper) les pouvoirs en place.
Demain est annulé
Tous les curseurs pouvant amener à une révolution sont présents, tous les pires scandales ou idioties sont devenus monnaie courante. La réalité est totalement noyé sous un flux constant de nouvelles toutes plus sensationnelles les unes que les autres, entraînant une confusion constante de la réalité. Ce monde a peur du vide, du refus, a finalement peur de vivre, l’espoir ou l’avenir n’est plus possible, car sans crainte on ne peut espérer. Ce monde ne peut rien affirmer, à l’image d’un wagon fou, ce monde ne peut qu’accélérer vers une chute inéluctable, diffusant le plus de bruit possible pour occulter sa chute. Il ne suffit plus de vouloir en sortir, il faut aujourd’hui ne plus rien en attendre pour sauter du marchepied.
50 nuances de bris
Ce chapitre a trait au démantèlement de l’individu et de l’unité politique. Plus personne ne s’intéresse au fait et aux discours politique. Il n’existe plus ni unité, ni intérêt pour la politique. Cette fragmentation de la société va de pair avec celle de l’état : avec la disparition de l’état de droit, remplacé peu à peu par un état d’urgence constant. Le droit pénal est supplanté au profit d’un “droit pénal de l’ennemi” : le militant politique sera jugé plus durement, le terroriste sera abattu sans sommation. Ces adversaires du pouvoir en place, se mettant de facto hors-la-loi, doivent justement être considéré et jugé comme tel. Elle est aussi présente dans les milieux contestataires d’extrême gauche ou les centrales traditionnelles doivent faire face à l’apparition d’une jeunesse turbulente et vindicative dans le cortège de tête soutenus par certaines de leurs propres sections. Le territoire national aussi se fragmente, le Comité Invisible cite notamment l’occupation de Notre-Dame-des-Landes. Ces fragmentations, loin de libérer les individus face à l’état et de permettre une certaine émancipation, poussent finalement des individus esseulés dans les bras des GAFAs. En effet, la condition du règne de ses géants de l’internet et du numérique est l’isolement de chacun des individus, au nom même d’un monde ultra-connecté. Un exemple est donné : la foule dans les transports urbains, n’a jamais été aussi séparé qu’aujourd’hui. Chacun sur son smartphone se connectant à un monde irréel. Cette séparation volontaire entraîne la formation de milliers de petits fragments paranoïaques, totalement égocentré. La seule solution face à cette asile à ciel ouvert, réside dans l’intrusion dans la vie réelle des gens, aller à leur rencontre, “les aimer”.
A mort la politique
La politique en France renvoie directement à la notion d’Etat, de parlementarisme, de verticalité. Ces notions justement définis par Foucauld sont quasi-immuables à travers le temps, et ce malgré des changements de phraséologie. Ces conceptions sont aujourd’hui omniprésente dans le militantisme radical. Impossible d’organiser une occupation sans ériger une nouvelle assemblée générale, singeant les assemblées constitutionnelles. Entraînant une perte d’énergie et une lassitude incommensurables. Chaque réunion ou groupe militant est l’occasion pour certains d’affirmer, qui de leur autorité, de leur sagesse, de leur raison. La politique et la vie sont dans le monde actuel totalement séparé, tant au niveau des médias, où le moindre fait de violence peut être monté en exemple, que dans la vie des militants, où derrière de grands discours se cachent souvent un certain avilissement face au monde moderne.
Le Comité Invisible se montre extrêmement critique sur Nuit Debout pointant du doigt le marasme des prises de paroles de deux minutes, des commissions sans fin, de l’inutilité et du découragement qui en a suivi. Mais plusieurs initiatives populaires, joyeuses y ont remis une étincelle de vie, à l’instar des apéros chez Valls. La politique doit retrouver sa substance en se rattachant à la vie, à ses méandres et à son exubérance. L’action d’un “casseur” montre que rien n’est impossible et que tout nous appartient. Mais cette résurgence de la politique ne peut se faire par un simple énoncé des objectifs à atteindre, mais par les expériences communes, les liens tissés un à un, de proche en proche.
Destituons le monde
Il s’agit du chapitre central de cet ouvrage. Les français sont incapables de penser leur quotidien sans l’existence de l’état, sans l’existence d’une institution. Il en va de même chez les économistes et les révolutionnaires du temps passés. Une institution ne fait qu’en remplacer une autre. Une institution “remèdes aux hommes”, qui va les encadrer pour les mener au bonheur, de Saint Augustin à Vladimir Illich. Et pourtant si à travers les siècles, ces institutions n’ont su accomplir leur destin, c’est bien qu’il y a un soucis. Un monde où les enfants aimeraient apprendre aurait-il besoin d’école ? Un monde où les travailleurs seraient traités décemment aurait-il besoin de centrales syndicales ? L’échec des institutions peut s’expliquer par leurs volontés de subsister. Une révolution, une insurrection constituante, qui s’exprime au nom de (du peuple, de la nation etc..) finit forcément par se retourner contre elle-même pour sauvegarder les “institutions”.
Il existe une dichotomie entre le Moi et l’Institution. Être quelqu’un socialement ramène toujours de prêt ou de loin à l’attachement à une institution étatique ou même “anti-étatique”. Les mouvements sociaux ne font finalement plus peur à personne. Ces derniers servent de soupape de sécurité et à l’émergence de leader, vite récupéré au sein des institutions. Dans le discours révolutionnaire même, cette volonté constamment “constituante” pour changer, transformer les institutions ne peut mener qu’à un pis-aller.
Il faut au contraire “destituer” ces institutions : placer debout, à part, laisser tomber tromper… “Destituer, ce n’est pas d’abord attaquer l’institution, mais le besoin que nous avons d’elle”. Il s’agit de sortir totalement d’un esprit de dialectique et de lutte face à ces institutions, il s’agit de repenser un monde où nous avons à cœur de mener les missions essentielles de ses “institutions” : nous faire justice entre nous en réglant nos différents, assurer notre éducation et notre sécurité. Nous ne nous opposons pas aux “institutions”, nous les vidons de leur substance pour se la réapproprier.
Mais cette destitution seule ne peut rien, elle doit obligatoirement s’accompagner d’un geste de destruction du monde du capital. Car ce monde n’appartient pas aux institutions, mais nous appartient. Casser un abribus, n’est pas seulement un geste de destruction, mais aussi une réappropriation : “ceci est à moi”.
Nous devons donc d’un même geste fuir et attaquer; fuir notre dépendance des institutions, attaquer ce monde qui nous opprime.
Fin du travail, vie magique
Le plein emploi est un lointain souvenir. L’automatisation et l’arrivée du règne du numérique entraîneront demain la disparition de la majorité des emplois. Le revenu universel est une conséquence inéluctable de l’évolution actuelle de l’économie. Ce dernier ne sera jamais suffisant pour vivre dignement. La figure du travailleur est peu à peu remplacé par celle du crevard. S’en suit une dépendance constante des individus et une recherche de toute instant pour se faire un petit billet, l’économie ainsi entrant dans la vie de chacun: AirBnb, Co-stockage, Blabla Car, tout est une occasion pour se faire de l’argent. Mais bien plus que cela, le progrès du numérique et l’omniprésence des réseaux sociaux pousse tout et à chacun à ne rater aucune occasion dans sa vie qui pourrait lui permettre de gagner de l’argent. Tout devient peut à peu orienté vers cette réputation numérique qui permettra ou non de réussir dans la vie. Jolies photos sur Instagram, mais aussi performance de jogger, tout devient prétexte à s’améliorer pour se faire remarquer, dépasser les autres. Le capital économique n’existe plus, il est remplacé par le capital humain. Cette théorie de capital humain apparu dans les années soixante est aujourd’hui une réalité. C’est grâce à ce capital humain, sa note de réputation numérique, que l’on peut aujourd’hui avoir une certaine richesse. Le vrai pouvoir de l’argent réside dans le vertige de ses possibilités. En étant riche, on peut tout faire, en dépensant avant on s’empêche d’y accéder. Il en va de même pour les relations humaines : aimer une personne c’est se refuser à toutes les relations futures possibles, être ici est un renoncement à être ailleurs ou grâce à son smartphone l’on se rend compte que tout y est mieux… Le crevard, ancien travailleur, n’est plus qu’un hamster courant comme un fou pour courir après un capital humain inatteignable, une vie qui n’existe pas. L’échange marchand est intrinsèquement un monde de mensonge et de tromperie. Dans les sociétés traditionnelles, sa fonction était méprisé ou réservé aux étrangers. Nous devons non pas changer d’économie, mais changer notre rapport à l’économie. Abolir entre nous les échanges mercantiles injustes. “La où la parole vaut, l’argent ne vaut rien”. L’économie sociale et solidaire qui représente aujourd’hui 10% du PIB n’est devenu rien d’autre qu’un pan différent de la même logique. Le tort de cette économie sociale est de croire dans sa propre structure. Au contraire, un entrepreneur aujourd’hui doit penser son activité, selon toutes les possibilités que cette dernières lui permettra en dehors de l’économie : un menuisier construira une cabane pour la ZAD, un imprimeur permettra aux camarades d’utiliser ses machines le week-end contre un peu de cash etc etc… Cette solution peut être révolutionnairement juste, car elle permettrait une réelle augmentation du potentiel d’action et d’indépendance, mais il faut se garder de l’ornière économique, “ de ne plus percevoir le sens de la conjuration”.
Tout le monde déteste la police
Plus les institutions vacillent, plus l’on arme la police. La situation actuelle de la police peut s’expliquer selon le comité invisible par deux visées différentes. D’un part, la police représente aujourd’hui le “maintien de l’ordre”, en utilisant toutes les méthodes illégales possibles. La société ne tient pas puisqu’on doit constamment rappeler le réel à l’ordre, la coercition qu’opère la police sur la population est en totale contradiction avec le discours bienveillant et de monde meilleur de nos gouvernants. D’autre part, cette police a pendant longtemps servis de bouc-émissaire entre le peuple et les gouvernements. Mais aujourd’hui ces derniers ne tiennent plus que par l’action de la police. S’en suit un renversement du rapport de force, où la police devient de plus en plus indépendante et toute puissante : les condamnations pour violences policières se font de plus en plus rares, les manifestations de mécontentement des forces de l’ordre de plus en plus violentes. Tiraillé entre l’ordre républicain et la volonté de “nettoyer la racaille”, la police ne sera à l’aise qu’avec l’émergence d’un pouvoir d’ordre.
La véritable posture révolutionnaire à conserver face à la police est la suivante : il est vain de tenter d’obtenir une victoire “militaire” face à la police, cette dernière n’étant pas un adversaire, mais un obstacle en travers d’horizons beaucoup plus lointains. Malgré une asymétrie totale, nous pouvons contourner cet obstacle, notamment en lui enlevant sa raison d’être : si chaque intervention policière créait plus de désordre qu’elle n’en résout (à l’instar de NDDL), cette dernière est destitué de facto de sa mission de maintien de l’ordre, perdant ainsi toute utilité…Il faut donc s’organiser tout en ayant conscience que “la lutte dans le monde aujourd’hui est essentiellement criminelle” . Il faut jouer subtilement entre le clandestin et le public, le légal et l’illégal.
Une force révolutionnaire aujourd’hui, à l’instar de ce qui a été dit sur la politique, ne peut naître que de proche en proche, de liens en liens.
Pour la suite du monde
Ce dernier chapitre conclut l’ouvrage par des ouvertures métaphysiques. Il revient en premier lieu sur le sens de communisme : son origine purement libertaire, sa récupération par Lénine et sa contradiction inhérente avec la collectivisation. Un des exemples évoqués est le suivant : la collectivisation, c’est le Mc Do, chacun à travers le monde mange la même merde, dans les mêmes locaux, le communisme c’est un repas partagé autour d’une table. Le Comité Invisible revient sur la dépendance naturelle des individus aux communautés, qui bien que fortement travestis aujourd’hui reste d’actualité à travers les modes etc, qui ne font que pointer du doigt ce besoin d’un sentiment d’appartenance. Il nous faut déserter le couple : vie individuelle / société . Alors que l’état social disparait, le libéralisme le remplace peu à peu par une “grande société” donnant plus de pouvoirs aux “communautés”, aux “collectifs”. Il tente de sauver sa nature particulière d’organisation des rapports humains en dupliquant à l’infini des petites sociétés : collectifs de citoyens, de travail, d’association etc. Le collectif par son côté informe, horizontal a un côté cool qui met pourtant l’individu seul face à la tyrannie de l’absence de structure. Il n’y a plus de besoin d’exploitation, puisqu’il existe à présent l’auto-exploitation.
Certains aujourd’hui ont une “vision” d’un autre monde, d’un autre moi. Le comité invisible explique par ce don de vue la création progressive du cortège de tête au sein des manifestations, allégorie des cellule révolutionnaires à travers le monde moderne. Ce “don de vue” est plutôt un noyade, ou au lieu de faire semblant, on décidé d’abandonner, de laisser couler ce monde qui nous entoure pour retrouver pied dans le réel et dans notre nature humaine.
Face au monde capitaliste, la révolution ne sera pas totale. On ne peut attendre que tous deviennent insurrectionnistes. Personne ne peut organiser l’autonomie des autres. L’intelligence de la situation qui permet de comprendre le monde et les volontés de nos adversaires peut seul peu à peu permettre l’émergence de nouvelles tensions révolutionnaires ayant pour but cette destitution totale des institutions, la récupération complète de notre liberté et de ses attributs.
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