Dans un article précédent (cf « De la nécessaire sobriété numérique ») nous évoquions le déploiement de la surveillance globale, de la censure sur les réseaux sociaux et la nécessité impérieuse pour tous les groupes militants d’avoir recours au numérique avec intelligence et parcimonie.

Comment communiquer lorsque les canaux habituels sont bloqués ou sous surveillance ? Comment échanger et agir lorsque l’ennemi n’est plus extérieur mais se meut parmi nous, sous la forme d’un portable qui enregistre ou d’un boomer délateur, pour exploiter la moindre petite imprudence ? Une telle situation a été vécue par les services de renseignement français entre 1939 et 1945.Né en 1900, André Brouillard a la vocation du renseignement très jeune lorsque pendant la Première Guerre Mondiale, sa ville étant occupée par les Allemands, il espionne les mouvements de troupe de l’ennemi et transmet ses observations aux réseaux français. Officier de formation et vétéran de la guerre du Rif, il entre au Deuxième Bureau, le service de renseignement français, à la veille de la Seconde Guerre Mondiale.

Publié en 1947, sous le pseudonyme de Pierre Nord, Mes camarades sont morts relate l’histoire, avec une précision chirurgicale, des services de renseignements français pendant toute la durée de l’Occupation : la destruction des premiers réseaux et la reconstruction puis la sécurisation relative des suivants, les méthodes d’espionnage, de recrutement, de cloisonnement, les communications entre réseaux et avec les alliés extérieurs, l’infiltration et l’intoxication des services ennemis, … Tous les aspects techniques de la guerre secrète sont expliqués par thème sous la forme théorique et appuyés d’exemples pratiques et véridiques.

Au-delà de l’intérêt historique et de méthodes parfois désuètes, encore que, cet ouvrage illustre parfaitement l’esprit du soldat de l’ombre en terrain hostile et confronté à un ennemi incommensurablement plus fort. Loin des récits d’espionnages romanesques, nous entrons dans l’intimité d’hommes simples qui accomplissent leurs actes clandestins, qu’il s’agisse de transporter un courrier sur quelques centaines de mètres ou d’organiser un parachutage, avec la même rigueur professionnelle.

Le bon chef de réseaux prend soin de ses hommes, il est attentif à leur vie personnelle et leur état psychologique, il leur interdit de mourir bêtement et n’hésite pas à les écarter s’il ne les « sent plus ». Car un homme qui tombe ne meurt jamais seul mais emporte souvent avec lui tous ceux avec qui il travaillait directement.

Pas de bavards ou de têtes brûlées en manque de reconnaissance, ils meurent de toute façon très vite. Le portrait de l’agent français est celui de monsieur tout le monde qui ne paye pas de mine. Au point de faire douter la Gestapo lorsqu’elle attrape un chef de réseau. Ce sont des petits fonctionnaires, des militaires à la retraite, des idiots du village pas si fous que ça, des filles qui se promènent à vélo, des antiquaires ou des paysans bourrus qui abattrons un travail subtil, titanesque et souvent mortel. Ce sont eux qui sauront, à l’heure de vérité, abattre l’agent ennemi ou croquer une capsule de cyanure pour ne pas parler sous la torture.

Ecrit pour transmettre à chaud l’expérience inédite des services français durant l’Occupat犀利士 ion, Mes camarades sont morts nous enseigne plusieurs leçons immuables :

– La guerre que nous avons à mener ne ressemble jamais à la précédente. Il faut accepter de la faire selon les nouvelles règles, même lorsqu’elles sont décevantes et pas très romantiques, ou rester chez soi ;

– Ce n’est pas lorsque le conflit ouvert commence qu’il faut s’engager. Ainsi que nous le démontre l’auteur, avant même que le premier soldat allié pose le pied en Provence ou en Normandie, tout était déjà joué, ou presque. Hier comme aujourd’hui, pendant que la plupart des gens qui « pensent bien mais attendent que ça pète » écoutent Radio Londres ou regardent un énième influenceur politique claquemurés chez eux, les militants sérieux œuvrent humblement, sérieusement et discrètement ;

– Il ne faut jamais accepter de faire un acte répréhensible si l’on n’est pas prêt à en assumer les conséquences possibles : blessure, amende, prison, mort sociale ou physique. Autrement on risque de paniquer pendant l’action ou, une fois capturé par l’ennemi, balancer tous ses camarades pour sauver sa peau.