C’est quand la raison s’aveugle au point de devenir passion que la doctrine cesse d’être pour devenir idéologie. Une réaction facilement observable dans de nombreux mouvements et sous-groupes politiques, dont la Décroissance. Nombreux sont les sympathisants de cette dernière qui adhèrent aux visions collapsologiques de la Croissance économique qui ne pourrait mener que dans le mur, que ce soit par un désastre écologique ou par l’épuisement des ressources dans un monde limité.
Il faut concéder que la vision économique dite de la croissance illimitée se heurte à des obstacles matériels que les gouvernances devront surmonter.
La première difficulté est déjà d’actualité puisqu’il s’agit de répondre à la demande en énergie qui augmente de façon exponentielle du fait de l’augmentation de la population et de la hausse de la demande résultant de l’évolution et de la propagation des nouvelles technologies. En témoignent les chiffres sur l’augmentation de la consommation énergétique mondiale qui a augmenté en moyenne de 18,5% entre 2009 et 2019. La distribution de l’énergie a grandement évolué elle aussi, ainsi selon l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), la part du numérique dans la consommation d’électricité est aujourd’hui proche des 15% et tend à doubler tous les 4 ans.
Pour répondre à cette demande l’humanité peut déjà compter sur les modes de production classiques (charbon, pétrole, gaz, hydraulique) qui restent majoritaires et sur les nouveaux mode dits “renouvelables” (éolien, solaire, etc) même si moins rentables, mais c’est surtout la fission nucléaire qui assure pour l’instant la continuité de la hausse de production avec un rapport production/externalités négatives clairement plus acceptable que ses concurrents. Mais la gourmandise en uranium de cette dernière, malgré les nouvelles centrales à déchets, ne la rend pas non plus viable sur le long terme. Toutefois, l’avancée des recherches et applications dans le domaine de la fusion nucléaire semble répondre à cette problématique sur le long terme, la puissance dégagée étant colossale. Sa mise en œuvre civile a été annoncée pour 2025 par le projet ITER qui rassemble pas moins de 35 pays collaborant à cette tâche, dont la France et la Chine. L’autre avantage de cette technologie étant de reposer sur une très faible consommation de matières premières (deutérium et tritium) présentes en grande quantité sur Terre. La barrière de l’énergie ne semble déjà plus en être une.
L’approvisionnement en matières premières, et plus particulièrement en métaux rares, constitue le deuxième blocage potentiel. Ce second risque rend la conquête spatiale impérative du fait des stocks terrestres limités pour certains matériaux et la difficulté du recyclage après certaines utilisations, notamment le numérique qui comme nous l’avons vu ne cesse de croître en part de production.
La question est donc : où en sont les avancées en aérospatiale ? De projet en projet, l’aérospatiale intéresse à nouveau les grandes puissances, la création de “space force” dans divers pays faisant foi de la nouvelle course à l’Espace qui commence. L’idée d’ascenseur spatial a fait son chemin et est aujourd’hui matériellement possible. Les sondes scannent les profondeurs de l’Espace et le sol de la Lune et de Mars. Les nouvelles fusées développées par Space X promettent une accélération sur la route pour Mars, de même que la découverte d’imposant gisement de glace sur la Lune, ces derniers assurant la possibilité de créer sur place du carburant et donc d’implanter une base de lancement sur un objet à moindre gravité. L’impératif d’exploration conjugué à l’accélération du développement des technologies liés à la l’Espace laissent peu de doute sur la concrétisation d’une colonisation extra-terrestre, à petite échelle du moins, avant la fin de ce siècle , ouvrant ainsi la voie pour l’exploitation des nombreuses ressources du système solaire et l’exploration de longue distance.
Outre le dépassement, presque acquis, de ces deux blocages, il faudra faire face aux externalités négatives. On peut néanmoins entrevoir que l’essor scientifique actuel devrait permettre d’y apporter rapidement des réponses technologiques. On peut re-citer dans ce sens le développement de la fusion nucléaire qui répondra au problème de pollution lié à la production énergétique, de même que la réalisation de l’ascenseur spatial résoudra la question de pollution de déchets extra-atmosphériques mettant en péril les lancements d’objet en orbite.
De manière générale, le principe “d’explosion technologique” semble conforter l’idée que l’innovation s’auto-alimentant, en se déclinant par grappe d’améliorations, apportera la réponse à toutes les limites que pourrait rencontrer la Technique. L’histoire en fait fois au travers des différentes révolution industrielles que nous avons connu, la révolution du moteur à vapeur à la révolution du numérique, en passant par la révolution du moteur à explosion, toutes englobées dans le même mouvement de développement en permanente accélération: la technologie est capable de répondre aux problèmes matériels qu’elle engendre.
Au-delà de la capacité matérielle de poursuivre la course au progrès, il faut aussi prendre en compte la résilience du système politique qu’elle a engendré. Même dans les sociétés qui tentent de modérer ses effets par le socialisme, le techno-capitalisme reste le modèle en vigueur dont nul ne semble réussir à se départir.
En Économie Politique, la théorie de la « Dépendance au sentier » explique la complexité d’agir sur la forme et la quasi-impossibilité d’agir sur le fondement d’un système économico-politique du fait des rapports de force entre les différents partis composants le dit système, ce dernier renforçant sa légitimité dans la durée. Cette théorie se vérifie aisément dans nos démocraties modernes qui se caractérisent le plus souvent par leur immobilisme politique. Dans ces dernières le jeu de pouvoir tient pour l’essentiel dans les relations entre trois grands agents : l’Etat, les entreprises et le peuple.
Les institutions humaines sont le reflet des hommes qui les constituent, ainsi la volonté de puissance propre à chaque individu se retrouve très naturellement à l’échelon étatique. Royaumes, empires et républiques concourent tous au jeu de la suprématie, passé à l’ère moderne au jeu de l’hégémonie. Ce jeu s’est toutefois accéléré grandement avec l’agrandissement des tailles desdits Etats de par le développement de technologies de grandes échelles comme la poudre à canon en Europe, nécessitant des corps d’armées permanant que la noblesse ne pouvait entretenir, soumettant cette dernière au royaume. Depuis cette accélération n’a fait qu’augmenter avec les révolutions industrielles successives demandant des capacités logistiques qu’aujourd’hui seuls des “empires” peuvent fournir. De fait, il y a peu de risque de voir la principauté de Monaco se lancer dans la course à la colonisation martienne. Ainsi, notamment de part leurs investissements militaires, les Etats se font mécènes de l’innovation. Le jeu des puissances et la chaîne de suspicion inter-étatiques qui en découle conditionnent les super-puissances en question à poursuivre coûte que coûte la folle course au progrès technique, de peur d’être laissé derrière et de devoir se soumettre au diktat du plus fort.
Pour la plupart, ces états ne sont de toutes manières que des prestataires de services pour des syndicats d’intérêts privés locaux. Du fait de la mise en place du libéralisme mondialisé, si le pouvoir politique n’a pas encore disparu, il s’est clairement déplacé et entretient des liens étroits avec les milieux économiques. Soumis dans une autre dimension au même stress concurrentiel, les entreprises se livrent à la même ruée impitoyable, enchainées dans la quête de la domination du marché. On en trouve une belle démonstration dans la course à l’espace, cette dernière fut le privilège d’Etats puissants au siècle dernier, elle se livre désormais entre multinationales avides de ressources extraterrestres comme en témoigne la compétition de Space X et Amazon dans la mise en place de gigantesques réseaux de satellites de télécommunications. Dès lors, les levées de fonds s’enchaînent pour financer les start-ups qui développeront les technologies de demain avant d’être rachetées par un géant pour dominer les autres, le tout saupoudré de communication fondée sur le progrès sociétal en cours afin de maximiser la base de consommateurs.
Cela nous amène au dernier agent de l’équation: les consommateurs auxquels on donne le nom de “peuple”, appellation présomptueuse si l’on considère ce que l’atomisation individualiste a fait des sociétés, le mot “populations” s’avère au final plus juste. Ces populations composées d’individus, de plus en plus déconnectés les uns des autres, se trouvent conditionnées par les deux agents précédemment cités qui, du fait de la constitution des sociétés libérales, se trouvent être leur seul cadre social. Amenées à la dépendance technologique et entraînées à réagir plus par affect que par raison, ces populations ne se départiront jamais de leur esclavage, seul garantie du confort étant devenu leur norme.
L’union de ces trois agents dans leur immobilisme est vouée à briser toute velléités réformatrices qui, même si elle était portée par des intentions légitimes, ne se heurteraient qu’à une levée de boucliers commune.
D’aucuns répondent à l’impasse réformatrice par un appel à l’action révolutionnaire. Effort vain encore une fois. Le temps des coups de force est passé, Léon Trotski a été vaincu par Curzio Malaparte, et le rêve du grand soir s’éteint dans la nuit des sociétés de surveillance policière. Les avertissements dystopiques orwelliens se sont incarnés dans la réalité et nulle grande puissance ne redoute le passage à l’acte.
D’autres recommandent en alternative la voie marxienne de l’accélérationnisme, qui considère le capitalisme comme un mal nécessaire ne pouvant que s’auto-détruire, si besoin avec un peu d’aide, en s’alienant le prolétariat et en se heurtant aux limites de nos ressources. Ceux-là ne prennent pas en compte la capacité d’adaptation du techno-capitalisme dont la grande force consiste à transformer ses obstacles en atouts. Ainsi les crises économiques des années 2000 auront permis la mutation des marchés en un système de stress financier permanent permettant de peser sur le pouvoir de négociation des plus faibles : les travailleurs. Ou bien encore la crise sanitaire, pure produit de la mondialisation des flux, qui aura permis la mise en place de grands axes économiques comme le Grand Reset, en grande partie grâce à la passivité des populations conjugués à l’augmentation du contrôle des libertés en temps de crise.
Face à cela, croyants ou non, nous nous retrouvons face au même constat que saint Jean : bien que nous refusions d’être “de ce monde”, nous sommes désormais contraints de trouver d’autres solutions pour survivre “dans ce monde”.
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