Enfin l’été ! Presque mi-juillet et pour beaucoup de français, le départ en vacances. La plage, la montagne, les petites départementales qui sentent la noisette, quel plaisir pour les citadins de renouer avec ce doux pays de notre enfance !

“Ah, mais ils ont installé des éoliennes dans la plaine”.

“Tiens, le village s’est agrandi avec de nouvelles maisons, c’est marrant on dirait les mêmes qu’à Plessis-Robinson ! ““Tu as vu, ils ont aménagé la forêt pour la transformer en accrobranche et parcours de trekking”.

“C’est bien d’avoir installé ce nouveau tunnel, bon ça a un peu cassé le charme de la montagne, mais ça nous fait bien gagner un quart d’heure sur le trajet !”

“Depuis que les chutes d’eau sont classées à l’Unesco, il y a des guinguettes et des magasins qui se sont installés à côté, c’est super sympa et puis c’est pratique quand on a oublié d’acheter le beurre”.

Ces petites phrases anodines sont le parfait exemple d’une réflexion majeure de la philosophie moderne sur la Technique et donc de notre rapport à la nature : “l’arraisonnement”.

Alors là d’un coup on pense pirate, rhum, caraïbes et énorme chapeau. C’est pareil mais différent. L’arraisonnement du latin ad (à) et ratio (raison), signifie dans son premier sens mettre à la raison. On met son ennemi à la raison, plus précisément à sa raison. C’est ce que font des pirates lorsqu’ils s’emparent d’un navire marchand, pillent la cargaison et mettent de jolis robes ! Plus sérieusement, c’est aussi l’action de la douane lorsqu’elle arraisonne un navire pour vérifier ses papiers et son embarquement : il vérifie la conformité de l’objet et sa destination avec la raison d’Etat.

Ce principe a été développé par Heidegger sous le vocable “Gestell” (cadre), nous reviendrons dans un autre article sur le développement de cette idée. Le constat de Heidegger est succinctement le suivant : l’homme a modifié son rapport à la nature, il ne le voit plus comme une réalité matérielle, comme l’univers qui l’entoure, mais comme un ensemble de ressources potentielles. C’est son action, son commandement qui donne son sens à la nature :Une forêt n’est pas un ensemble d’être vivants, mais un stock de planches en devenir, ou bien encore une zone de loisir. Une plaine devient une zone agricole. Le vent, une source d’électricité etc etc…

Heidegger parle alors de dévoilement de la nature. Ce dévoilement régit la technique moderne. Il a pour conséquence un changement du rapport à la nature. Cette dernière ne nous environne pas, ne nous conditionne pas. L’homme l’oblige à livrer une énergie (ou un bien matériel) qui puisse être extraite et accumulée.

Plus besoin de saison, plus besoin de temporalité, on peut aujourd’hui extraire ce dont nous avons besoin, quand nous en avons besoin. Nous ne dépendons plus des lois de la nature (des fraises en hiver, des glaces en été, des trains à 400km/h etc etc).

La technique moderne a mis la nature à sa raison. La technique a arraisonné le monde.

Mais une fois que l’on a fait obéir les tomates, les minéraux, l’hydraulique, comment continuer à toujours produire ? La technique s’arrête-t-elle d’un seul coup aux ressources naturelles, ou cherchant à arraisonner toujours plus s’occuper d’une nouvelle “ressource”, la ressource humaine ?Ce simple terme doit nous amener à reconsidérer le système dans lequel nous vivons. Nous devons pousser notre réflexion au-delà d’être anti-ceci ou contre ça, mais bien chercher à comprendre le mécanisme de la technique moderne pour tenter d’échapper à ses rouages. Il ne s’agit pas seulement de défendre à tout prix les zones naturelles, mais de se souvenir de ce qu’est la nature et de lui rendre sa place dans nos vies.

Pour reprendre l’exemple des pirates, pourquoi rester sur le Titanic alors que l’on peut s’échapper sur une petite chaloupe.