Dans toute civilisation, le scandale est un élément mouvant qui évolue et modifie profondément la société : en même temps que certains tabous s’écroulent d’autres totems sont érigés.

Hormis l’inceste, qui semble être reconnu comme le tabou absolu dans l’ensemble des civilisations connues (cf l’anthropologue Claude Lévi-Strauss), il semble qu’il n’y ait pas de scandales qui ne soient tôt ou tard remis en cause.

Évacuons de notre réflexion l’aspect moral pour nous en tenir à l’impact à plus ou moins long terme de l’érection ou de la disparition d’un scandale dans une société. Prenons le cas de la France. Il y a 70 ans, le divorce, la naissance d’un enfant hors mariage étaient des sources de scandales. Pire, les responsables du scandale pouvaient faire l’objet d’un bannissement moral par la société : peinant à trouver un logement, un emploi, des amis. Dans une société de proximité, où tous se connaissaient, il était inconcevable, pour « une personne honnête » (comprendre intégré socialement), d’enfreindre cette règle non inscrite (puisque le divorce était légalisé et qu’aucune loi n’interdisait d’avoir un enfant hors mariage). L’habitus, la règle communément admise déterminait et détermine « ce qui se fait », et « ce qui ne se fait pas ».

Mai 68 est passé par là, et avec lui, son illusoire « interdit d’interdire ». Les tabous sont-ils tombés ? Le scandale a t-il disparu ? Les militants et promoteurs de la révolution de Mai ont tentés de le faire croire. Certains ont même tenté dans la foulée de la dépénalisation de l’homosexualité, de normaliser la pédophilie et pour les plus téméraires l’inceste-dernier tabou s’il en était-. En réduisant la notion de scandale à une question morale, voir religieuse, les français ont cru s’émanciper de tout code collectif en même temps qu’ils abandonnaient la pratique religieuse et qu’ils se détachaient de la Foi.

Le grand n’importe quoi des années 80 qui renversa cul par-dessus tête toutes les règles du monde ancien, érigeant le règne du fric au rang de vertu cardinale, la jouissance plutôt que l’effort, la consommation et le crédit plutôt que l’épargne, développa un individualisme forcené qui fit oublier pour un temps que la société était faite d’interdits, de règles non inscrites que personne ne doit enfreindre sous peine d’en être exclu. Ces lois n’ont pas de valeurs morales absolues et éternelles mais fluctuent au gré de l’évolution de la conscience commune (et de la pression sociale, morale et médiatique).

En même temps que le scandale/l’interdit forge, une société, il existe son pendant, l’Idéal, le Totem, la Valeur à laquelle on aspire et pour laquelle on se bat : la Liberté, l’Indépendance, la Rigueur, l’Effort. Certaines de ces valeurs semblaient indéboulonnables et éternelles, intrinsèquement liées à notre civilisation. Pourtant, force est de constater qu’elles sont battues en brèche, réduites depuis des années, rabotées, limitées. De la loi Pleven au Pass Sanitaire les Français se sont faits peu à peu à l’idée d’une liberté sous condition : des nouveaux tabous sont apparus, d’abord politiques, sur les sujets d’immigration à partir des années 80 et la diabolisation du Front National et des thèmes avancés par lui, jusqu’à l’hystérisation du débat et la réduction au rang d’épouvantail fasciste, toute personne ne succombant pas aux sirènes du progressisme.

La crise covidienne en accélérateur d’époque, semble ériger de nouveaux scandales et de nouveaux totems: celui de ne pas se plier aux dernières injonctions vaccinales gouvernementales et avec comme corolaires la possibilité de priver le nouveau lépreux de certaines libertés : celle de travailler, de circuler dans telle ou telle zone, de consommer en certains lieux, voire pourquoi pas demain comme un dhimmi de ne pas avoir droit à telle ou telle prestation ou au contraire de payer un impôt supplémentaire. Paradoxalement et comme souvent, L’époque qui érige la Liberté et l’Égalité comme valeurs cardinales et absolues est aussi celle qui est prête, et ce sous les applaudissements du public, à les faire disparaître sans regret et sans remords, en jurant que l’on n’aura jamais été aussi libres.