« Si l’école ferme, c’est la mort du village ». Ainsi peut-on résumer le quotidien des villages français depuis les années 60, et aucune politique mise en place par l’Éducation Nationale n’a infléchi un processus qui semble inévitable aux yeux des habitants et des maires. C’est tout simplement parce que l’État est à l’origine de la destruction de l’école rurale qu’il ne cherche en rien à la sauvegarder. Derrière un discours soutenant la ruralité et ses particularités, le pouvoir public cherche à imposer le modèle de l’école urbaine à l’ensemble du territoire.
Instaurée au XIXe, l’école publique communale assurait la présence de l’État républicain dans tous les territoires. Elle incarne la volonté d’installer une école identique, assurant la diffusion des valeurs républicaines auprès des populations éloignées des centres décisionnels. Cependant au cours des années 60, le visage des campagnes a profondément changé, amenant à repenser la distribution géographique des écoles publiques. La déprise démographique a vidé les espaces ruraux d’une grande partie de leur population. Rationalisant son budget et alignant progressivement ses politiques sur un modèle managérial, l’État remet en question la présence des écoles rurales, tout comme celle des autres services publics. Pourquoi garder autant d’écoles dans des espaces ruraux vidés de leur population et qui sont voués à disparaître face au monde urbain pourvoyeur de progrès et de modernité ? Pour l’État, les écoles rurales empêchent la modernisation de l’ensemble de la société. Empêtrées dans des archaïsmes avec leurs classes uniques (à multiniveaux) et leur instituteur devenue une figure locale incontournable, elles sont un obstacle au progrès. Il est alors nécessaire de supprimer ces écoles afin de faire entrer les élèves ruraux dans la grande marche de la modernité.
Pourtant rien, absolument rien, ne vient corroborer cette vision arriérée de l’école rurale, qui n’est déjà plus celle de la Troisième République. Les rapports pédagogiques demandés par l’Inspection générale ne s’appuient que sur une représentation erronée et a priori de l’école rurale et n’explicitent jamais pourquoi cette école est une entrave à l’instruction et au développement des enfants. Au contraire, toutes les recherches scientifiques sont unanimes : les élèves ruraux issus des classes uniques ou à multiples niveaux ne souffrent pas d’un retard culturel et scolaire. Ils ont de meilleurs résultats que les élèves urbains à leur entrée au collège. Par sa petite structure, elle permet une plus grande proximité entre les élèves et l’enseignant qui les suit sur plusieurs années. L’hétérogénéité des niveaux entraîne une plus grande autonomie des élèves afin de permettre à l’enseignant de s’occuper de tous et des élèves en difficultés. Quant à la différence d’âge, elle permet une émulation, ainsi qu’un système d’entraide entre les plus grands et les plus petits, participant à les responsabiliser. Loin d’être un obstacle, l’école rurale permet un développement global de l’enfant, participant à son autonomisation et sa responsabilisation. Qu’à cela ne tienne, les recherches pédagogiques ne sont pas prises en compte et l’État continue sa politique de suppression en imposant le modèle de l’école urbaine, moderne : une école doit être composée de trois classes au minimum, et une classe d’un seul niveau afin d’assurer l’homogénéité des classes. Ainsi s’instaure la suppression institutionnalisée d’un modèle éducatif pourtant reconnu pour son efficacité pédagogique.
Ainsi, ce projet d’alignement de l’école rurale sur l’école urbaine passe par une succession de politiques éducatives visant la construction de pôles éducatifs à la pointe de la modernité pédagogique et du numérique. A côté des normes d’effectifs dans les classes et les écoles, ces politiques imposent de nouvelles normes pesant de plus en plus sur les élus locaux : les bâtiments doivent être mis aux normes sécuritaires (rampe d’accès, ascenseur), mais aussi accueillir un service périscolaire pour les enfants le matin, le midi, le soir. Alors qu’auparavant les enfants allaient à l’école à pied et pouvait revenir déjeuner chez eux le midi, aujourd’hui les deux parents travaillent, le système de gardiennage périclite, et les transports scolaires le midi coûtent trop chers à maintenir pour les communes. Tout ces éléments poussent à la mise en place d’un service périscolaire, alors que son coût de fonctionnement coûte toujours plus cher aux communes rurales déjà en grande difficulté financière. Oui, imposer le modèle de l’école urbaine aux espaces ruraux a un coût, un énorme coût pour les élus qui ont souvent l’impression de ne pas avoir le choix face à cet ensemble d’exigences et de pressions extérieures auxquelles ils font face. Confrontés à des normes, un fonctionnement de plus en plus technique, une pression de la part de l’Éducation Nationale, ils sont assaillis d’autre part par l’agrandissement des intercommunalités qui récupèrent de plus en plus leurs prérogatives, éloignant les décisions territoriales de la vie quotidienne et des habitants. Beaucoup de maires acceptent alors de fermer leurs écoles et de construire ces gros pôles éducatifs dans le bourg d’à côté, n’ayant finalement plus vraiment le choix.
Cependant les liens historiques entre la commune et l’école marquent toujours les esprits. L’école est perçue comme un lieu de vie dont le maintien représente une obligation et une nécessité pour les maires. Certains cherchent à défendre cette école comme la dernière représentante d’un territoire communal, comme un symbole de la proximité et de la vie communautaire qui liaient auparavant les habitants. Les enseignants qui ont encore connu cette école villageoise, l’affirment : l’ensemble du village était impliqué dans l’école. Certains maires aujourd’hui aimeraient et sont prêts à faire revivre leurs écoles de village. L’Éducation Nationale affirme construire un projet global pour l’enfant avec ces pôles éducatifs. Pourtant, elle a supprimé le seul projet valable pour l’enfant parce qu’elle ne voulait pas le voir et le méprisait au nom du progrès. Sans regretter le modèle républicain de l’école communale, c’est la forme de cette école qui est intéressante et essentielle : ancrée dans un territoire et une communauté qui vit avec elle. A nous de la faire vivre.
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