L’orthodoxie radicale (« radical orthodoxy ») est un mouvement apparu en Angleterre. On peut dater sa naissance par la parution de Theology and Social Theory du théologien anglo-catholique John Milbank, en 1990 influencé par l’école de Cambridge et par le christianisme social. Ce courant est apparu sous l’influence de la pensée de Maurice Blondel « la Nouvelle théologie », illustrée par l’œuvre d’Henri de Lubac, mais également de deux grands moralistes anglo-saxons souvent qualifiés de communautariens : le théologien américain Stanley Hauerwas et le philosophe Alasdair MacIntyre. Les principaux représentants de l’orthodoxie radicale sont John Milbank, Catherine Pickstock, William T. Cavanaugh, Graham Ward.
Avec l’orthodoxie radicale, la doctrine chrétienne est vu sous le prisme de l’exemplarité de sa matrice patristique (enseignement des Pères de l’Eglise). C’est une redécouverte de la cohérence du christianisme. Il s’agit d’une tentative pour « réimaginer » le christianisme contre la raison séculière. Cette théologie revendique le droit de s’intéresser à toutes les réalités à partir d’un point de vue spécifiquement chrétien. L’orthodoxie radicale s’est parfois définie comme un thomisme augustinien postmoderne (qui s’inscrit dans la lignée des écrits d’Aristote et de Saint Thomas d’Aquin) en tant qu’il récuse la modernité fondée sur une raison universelle mais également en tant qu’il prend en compte la modernité et ne se veut ni conservateur ni réactionnaire. L’orthodoxie radicale cherche à recadrer le nihilisme déshumanisant inhérent à la modernité sous un angle théologique. Elle affirme que toute pensée de l’être qui met Dieu entre parenthèses en se prenant elle-même pour fin est nihiliste. Selon ce mouvement, la modernité se caractérise par l’oubli de la nature participative de l’homme à la fois terrestre et spirituelle or seule la théologie peut rendre compte du réel en vérité. L’orthodoxie radicale considère que tout est théologique, que la connaissance est ontologique et mène à la connaissance de Dieu. Elle se construit contre le christianisme de la modernité séculière qu’elle juge corrompu ( : la thèse de l’unicité de l’être de Dans Scot qui utilise le concept d’être autant pour l’être créé que pour le créateur, et contre le nominalisme de Guillaume d’Ockham).
Politiquement, c’est un mouvement antilibéral, un socialisme anti-étatiste proche de la doctrine sociale de l’Église catholique par son insistance sur la communauté, la coopération, la réciprocité. L’orthodoxie radicale rejette les solutions d’État et fait apparaître la nécessité d’inventer un nouveau mode de don et d’échange universels. Elle considère que l’Église peut permettre l’avènement de cette communauté. L’orthodoxie radicale croit aussi au gouvernement platonicien de l’aristocratie (le gouvernement des meilleurs, du grec aristoi : les meilleurs et kratos : pouvoir, autorité, gouvernement)et cherche à valoriser une éducation à l’excellence collectivement reconnue.
Au Moyen-Age, l’Eglise était la communauté humaine de référence qui induisait ensuite l’action politique. L’ordre social médiéval (inspiré par l’ordre liturgique) était fondé sur le bien commun comme finalité eschatologique, se traduisait par le don, par la participation de chacun à une harmonie globale et c’est avec cet ordre que tente de renouer l’orthodoxie radicale en opérant un retour à la foi. L’expérimentation première du don et de la participation se vit en effet dans la liturgie eucharistique. La religion vient du latin religare signifiant relier au sens d’un lien spirituel au divin mais également en entre eux les croyant. Ils forment ainsi une communauté et ils sont ainsi membres d’un corps social orienté vers une vision universelle répondant à la question du salut et de la vie bonne. Ses membres forment l’Ecclesia qui a donné le terme d’Église.
C’est lorsque l’homme se pense créé par Dieu qu’il peut envisager la possibilité d’une finalité commune qui le dépasse. En cela, le politique ne peut être pensé sans le spirituel car il en découle. Ainsi, l’orthodoxie radical récuse les thèse contractualistes qui placent l’individu au centre de toute chose et perd la notion de transcendance. De la souveraineté du monarque absolu, on passe à la souveraineté du peuple. La sécularité moderne a des origines théologiques et par conséquent ne peut être dépassée que par une autre théologie qui s’oppose à la logique séculière.
Dans une société où les imaginaires historiques et théologiques s’affrontent, il ne s’agit pas d’y opposer une argumentation rationnelle mais, pour ce mouvement, il s’agit de proposer un contre-récit, un autre imaginaire, une foi capable de mobiliser et de fédérer en vue de renouer avec la morale et l’action politique orientée vers le bien commun. Face abîme qu’est aujourd’hui la France, il est nécessaire de la refonder. Cela ne se fait pas sans mythes fondateurs. L’orthodoxie radicale peut constituer cette alternative en proposant une autre vision sociétale refondée par la transcendance.
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